Mémoire et Hypnose - Part 2 

La mémoire comme support de la thérapie

 

 

 

 

 

Par Jean-Dominique Paoli

 

 

 

 

 

Introduction

Le paradoxe des psychothérapies est, alors que le client vient chercher l’oubli de ses problèmes,  de faire appel à sa mémoire pour réactiver ce qui le harcèle de manière récurrente.

En effet, dans le sillage de la psychanalyse, la plupart des méthodes actuelles en psychothérapie reposent sur la récupération d’événements du passé par la mémoire, sur leur interprétation et sur la libération verbale des émotions, la parole devant produire un effet curatif. Or, Le premier volet de Mémoire et Hypnose nous a montré que les souvenirs retrouvés par notre mémoire sont insuffisamment fiables pour constituer la preuve de la véracité des faits remémorés.

Avec le mouvement des « thérapies brèves » l’approche est différente : Il ne s’agit plus de s’appuyer systématiquement sur des souvenirs dont la véracité est aléatoire, mais de faire appel à la partie non consciente du fonctionnement humain où la mémoire est beaucoup plus efficace et capable d’apporter elle-même des solutions aux problèmes posés.

Les recherches sur le fonctionnement du cerveau, à la fin du 20è siècle, permettent de modéliser une nouvelle forme de mémoire, une mémoire non consciente, dite « implicite », dont le fonctionnement est essentiel à la vie, une forme de mémoire qui conforte les orientations de l’hypnose ericksonienne.

Nous allons expliquer au I) en quoi consiste cette mémoire implicite. La partie II) nous permettra de voir comment l’hypnose a évolué dans ses méthodes thérapeutiques pour intégrer la notion d’inconscient et mettre en œuvre l’utilisation de la mémoire implicite.

 

 

I - Une forme puissante de mémoire : la mémoire implicite

 

  • Kandel et Squire

Dans le volet 1 de cette étude où nous avons présenté le fonctionnement général de la mémoire, il a surtout été question de la mémoire au sens commun, à savoir la mémoire qui permet l’expression de souvenirs et/ou de connaissances. Nous avons mis au premier plan la synthèse réalisée dans leur ouvrage « La mémoire, de l’esprit aux molécules » par Eric Kandel (prix Nobel 2000 pour ses travaux sur ce thème) et son alter ego Larry Squire.

Kandel et Squire ont disséqué le fonctionnement de l’expression du souvenir. De ce qu’ils appellent la mémoire déclarative, ou explicite, celle qui s’exprime en mots. Mais ils ont aussi apporté les preuves de l’existence d’une autre forme de mémoire qui ne passe pas par le souvenir mais par la manière d’effectuer quelque chose : la mémoire non déclarative ou implicite. Nous allons voir que cette forme de mémoire a une influence déterminante dans notre vie quotidienne. Elle est essentielle à notre fonctionnement, de même qu’elle l’est pour la thérapie dans le cadre de l’hypnose.

 

  • La mémoire des habiletés motrices et des habitudes….

L’idée d’une mémoire des habiletés motrices, des habitudes, n’est pas nouvelle. Par exemple, dès la fin du 19è siècle, le philosophe Bergson s’intéressait à « une mémoire tendue vers l’action, assise dans le présent et ne regardant que l’avenir, une mémoire qui ne nous représente plus le passé mais le joue… ». C’est déjà l’idée d’une mémoire non consciente, implicite et qui s’exprime dans une action. Mais c’est une idée qui peinera à faire son chemin dans la communauté scientifique et qui ne trouvera son développement et sa confirmation qu’avec les travaux des équipes de Kandel et Squire à la fin du 20è siècle.

La mémoire implicite ne s’exprime pas dans le rappel conscient d’un souvenir, mais par une habileté, par une performance inconsciente. C’est la mémoire de nos gestes quotidiens, de nos habitudes, fruits des apprentissages intervenus au cours de notre vie. C’est aussi la mémoire de notre survie et de nos fonctionnements internes.

Cette mémoire possède ses propres circuits cérébraux. Elle est dotée d’une grande puissance de calcul et de la capacité à gérer simultanément des milliers d’informations, ainsi que d’une rapidité de réaction quasi immédiate qui la met aussitôt dans l’action. Prenons un exemple : vous arrivez au bas d’un immeuble et vous décidez de prendre l’ascenseur plutôt que l’escalier. Vous n’avez alors qu’un geste simple à effectuer : appuyer sur le bouton d’appel de la cabine.

Simple… et pourtant d’une grande complexité biomécanique. En un instant un grand nombre de tâches coordonnées doivent se mettre en place. Un premier niveau définit les objectifs du mouvement (ici, appuyer sur le bouton repéré par les yeux) et les comportements à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs. Parallèlement, une autre partie du cerveau analyse la position du corps et des différents membres dans l’espace afin de préparer les mouvements adaptés. A un deuxième niveau, une autre zone du cerveau planifie la séquence précise des contractions ou relâchements des différents muscles pour soulever le bras et tendre le doigt vers le bouton d’ascenseur. En outre, les coordonnées de l’emplacement du bouton dans l’environnement doivent être intégrées afin d’ajuster les angles des différentes articulations participant au mouvement. Pas le temps de sortir une fausse équerre de sa besace et de prendre les mesures d’angle ! Un troisième niveau s’occupe de produire la contraction de tous les groupes de muscles nécessaires au mouvement, chaque groupe agissant avec une force différente. Sans oublier les ajustements en continu de la posture générale du corps !

Cette description, très résumée, montre la complexité d’un geste aussi simple. Il en est ainsi de tous les gestes de notre vie, notamment le geste de la marche, privilège de l’homo erectus : progresser en gardant l’équilibre, anticiper et éviter les obstacles, etc… ce qui entraîne un besoin de calculs complexes et d’adaptation permanente à l’environnement. Calculs effectués en une fraction de seconde par les circuits cérébraux propres à ce type de mémoire (les différents cortex, le cervelet, la moelle épinière, les aires motrices, etc.) et permettant de déclencher les mouvements. 

Pourquoi parle-t-on de mémoire ? Parce que le mécanisme des mouvements représente la synthèse de tous nos apprentissages depuis que nous sommes apparus à la vie. Et aussi parce que ces opérations sont dirigées par les zones du cerveau qui sont le siège de la mémoire. Tous les gestes, toutes les expériences passées sont mémorisés et chaque nouvelle expérience s’ajoute à notre histoire, est intégrée, synthétisée. Mais sans que l’individu ait conscience d’avoir accès à des éléments stockés en mémoire. Pas plus d’ailleurs qu’il n’a eu conscience de mémoriser lorsque son corps a appris les gestes de la vie. De même pour les habitudes : nous les acquérons sans effort spécifique et sans conscience d’un apprentissage.

La mémoire implicite est si rapide qu’elle se dérobe à notre conscience. Sauf à y consacrer un certain temps, et encore de manière très approximative, nous sommes incapables de verbaliser toute l’opération consistant à appuyer sur le bouton d’ascenseur. Alors, s’il fallait au matin, dès le lever, se mettre à décortiquer le fonctionnement de nos moindres actions, à les conscientiser pour pouvoir les effectuer, la vie serait impossible. Ce qui montre l’influence déterminante de la mémoire implicite dans notre vie quotidienne.

En outre, l’expérience montre que mettre du conscient dans une habileté motrice nuit, voire empêche la performance. Imaginez que vous êtes assis à une terrasse de café, portable à la main, à espérer le passage d’une indienne afin d’en filmer la démarche. C’est finalement l’un de vos amis qui passe par là, auquel vous proposez de filmer sa marche, en précisant « surtout, reste naturel ». Concentré sur ce conseil, cet ami aura tôt fait d’avoir l’air gauche et sera tout sauf naturel.

Nous reviendrons plus loin sur l’importance de ce type de mémoire en thérapie - c’est l’idée principale de ce volet de « Mémoire et Hypnose » - mais nous pouvons déjà citer Milton Erickson : «Les troubles apparaissent souvent lorsque le conscient met son nez là où l’inconscient aurait fait mieux ».

 

  • ... mais aussi la mémoire des habiletés cognitives et des comportements

Depuis quelques décennies, les chercheurs ont mis en évidence l’existence d’un « inconscient cognitif ». Avec leurs équipes, Kandel et Squire ont notamment montré que certains types de mémoire implicite exercent de fortes influences sur le comportement et la vie mentale, alors que pourtant ils agissent hors de la conscience et sans mémorisation consciente de ces expériences.

L’exemple désormais connu est celui de l’image subliminale : si l’on insère dans un film une image que le spectateur n’a pas le temps de percevoir consciemment, cette image a cependant été perçue et mémorisée inconsciemment car on constate in fine que le comportement de la personne en est influencé. Autre exemple, l’intuition, dont une grande partie est produite par la mémoire implicite à partir d’éléments appris pour la plupart inconsciemment. Un message de l’inconscient qui nous incite à nous dire ensuite « j’aurais dû m’écouter », « au fond de moi, je savais bien »… « Quelque chose s’active quelque part dans les neurones sans que la conscience s’en aperçoive » (Pierre Buser).

Mais au-delà de ces exemples, ce qui va nous intéresser particulièrement pour notre étude c’est la manière dont fonctionne la mémoire cognitive implicite. En effet ce fonctionnement est identique à celui des habiletés motrices, c'est-à-dire mettant en œuvre inconsciemment une mémoire très rapide, dotée de capacités puissantes de synthèse et dont l’objectif final est un comportement ou une habileté cognitive. « Dans l’inconscient cognitif, on ne sait pas qu’on sait, on apprend sans savoir qu’on apprend, et on répond sans s’en rendre compte » (B. Cyrulnik).

 

  • Un diapason mental inconscient

Illustrons la puissance de cette forme de mémoire par l’exemple de l’oreille absolue en musique : certains musiciens peuvent, en entendant une note de musique jouée seule, sans aucun autre repère, identifier immédiatement cette note. Nul besoin de savoir que dans le 3è octave la fréquence de la note ré est de 294 hertz ou celle du si b de 466 Hz, la note s’impose inconsciemment et immédiatement à leur cerveau. Cela indique qu’ils possèdent en eux-mêmes une référence complètement stable, comme un diapason mental, synthèse des innombrables notes ayant pénétré leur cerveau dans le passé, diapason sur lequel le son que leur oreille perçoit est automatiquement évalué. Leur cerveau est d’ailleurs si performant en la matière qu’il peut, à l’écoute de n’importe quel morceau de musique, leur faire visualiser, défiler l’image de la partition correspondante.

Cette mémoire implicite est puissante. Restons dans le domaine de l’oreille musicale : sait-on que la plupart des facteurs de piano, bien que disposant d’appareils numériques perfectionnés, préfèrent accorder « à l’oreille » les 88 touches d’un clavier ? La mémoire implicite plutôt qu’un ordinateur.

Notre cerveau stocke les situations, les réactions, les apprentissages, les comportements de toute notre vie mentale. Tout ce qui présente un intérêt pour nous, tout ce qui entraîne des émotions, aussi ténues soient-elles, et les réactions afférentes, est ainsi répertorié pour pouvoir être utilisé ultérieurement dans la mise en oeuvre d’un comportement. Nos « grandes » émotions, bien sûr, mais aussi toutes ces petites réactions quotidiennes, discrètes mais puissantes, que le psychiatre Christophe André (« Etats d’âme ») nomme nos états d’âme : « ces sortes d’émotions subtiles mais tenaces et influentes… ce n’est pas la grande colère mais le petit agacement, la légère crispation, ce n’est pas la tristesse abyssale mais le soupçon de cafard, le coup de blues, le nuage de mélancolie. Et de l’autre côté, ce n’est pas non plus le franc enthousiasme ni la joie éclatante, mais l’imperceptible euphorie, le sourire intérieur, la douce légèreté… Vues du dehors, ces sous-émotions peuvent sembler superficielles, mais, vécues du dedans, elles sont incroyablement importantes. En réalité, l’essentiel de notre vie intime est fait d’un tissage d’états d’âme… ces états intermédiaires sont plus révélateurs et constructeurs de notre personnalité que les émotions fortes. Etre en colère ou affreusement triste, c’est une forme d’aliénation programmée pour toute notre espèce. Alors que quand quelqu’un est dans un état d’âme, il est habité par un phénomène psychique complexe où tous ses acquis, son expérience, sa culture entrent en jeu… ». Ce sont nos agacements et nos petites rognes, nos irritations et mécontentements, nos culpabilités diffuses et nos remords, nos cafards et chagrins, nos pincements au cœur et nos mélancolies, nos ressentiments et rancoeurs, nos échecs et désarrois, nos inquiétudes et soucis, nos déceptions et blessures intimes. Mais aussi nos emballements, notre bonne humeur, nos petits bonheurs, nos joies discrètes, nos fiertés, etc. « Tout ce qui reste en nous quand le train de la vie est passé… » (Christophe André).

A longueur d’années de notre vie, tous ces éléments impressionnent les plaques sensibles de notre mémoire implicite. Face à un comportement à adopter, notre cerveau passe en revue toutes ces informations, de façon extrêmement rapide et inconsciente, afin d’en faire une synthèse qu’il juge adaptée à la situation. Nous possédons ainsi en nous, issu de toutes nos expériences, le diapason interne de ce qui devrait être bon pour nous. Et comme l’action de la mémoire implicite se traduit par un comportement, celui-ci doit aller en principe dans le bon sens pour nous.

Nous verrons plus loin, dans la partie consacrée à la thérapie, que cette mémoire n’est pas infaillible et que même si elle dispose d’un grand réservoir d’informations en réserve, elle peut se tromper. Comme elle s’exprime dans l’action, il lui arrive de mettre en place des comportements et des routines qui posent problème à la personne. Nous en identifierons les raisons, mais nous pouvons déjà dire qu’il est possible, grâce aux techniques hypnotiques, d’en corriger les trajectoires.   

Pour conclure cette explication sur la mémoire implicite cognitive, citons Eric Kandel : « La mémoire implicite fournit une myriade de façons inconscientes de répondre aux sollicitations du monde extérieur. En raison de son statut inconscient, elle contribue largement aux mystères de la vie humaine. Ici émergent les penchants, les habitudes et les préférences qui sont inaccessibles au souvenir conscient mais qui sont néanmoins modelés par les événements du passé, influencent notre comportement et notre vie mentale et représentent une part importante de nous-mêmes ».

Nous connaissons maintenant les grands aspects du fonctionnement de la mémoire. Voyons comment la thérapie, qui se trouve face à un problème ancré dans le passé d’une personne, utilise les ressources de la mémoire.

 

 

II – l’Hypnothérapie face au passé et à la mémoire

 

Les hypnothérapeutes utilisent une panoplie de méthodes thérapeutiques où la mémoire du passé est plus ou moins sollicitée. Nous n’établirons pas ici le catalogue de ces différentes méthodes. Elles sont variées et les combinaisons qu’elles permettent sont nombreuses. C’est la raison pour laquelle nous n’observerons que les principales tendances de fond. Et surtout, nous n’étudierons que la manière dont elles mettent en oeuvre la mémoire, objet de notre étude.

Une mémoire qui est activée par un recours plus ou moins important au passé, selon le choix du thérapeute,  en fonction de ses convictions et de sa pratique. De la régression hypnotique, dont la démarche vis-à-vis du passé reste voisine de la psychanalyse, à des méthodes  où l’intervention du thérapeute est complètement épurée, où totale liberté est laissée à l’inconscient de récapituler, synthétiser et agir, l’éventail des choix est fonction de l’importance que le thérapeute attache aux événements passés et à leur mémorisation par celui qui le consulte.

 

  • La régression hypnotique

La technique de régression a pour objet de permettre de remonter le fil de la mémoire. Cela d’autant plus aisément, par rapport à l’analyse classique (psychanalyse), que l’hypnose permet une acuité plus fine du souvenir. L’intensité émotionnelle du vécu apparaissant dans les régressions peut laisser penser que l’hypnose  permet toujours de révéler des souvenirs enfouis.

La personne remonte le temps, revoit à l’envers les étapes du chemin de sa vie, retrouve les moments  qui ont perturbé son développement. Elle doit ainsi pouvoir comprendre ce qui a pu modifier sa personnalité, quels aiguillages ont conduit à ce qu’elle est. La mémoire (en l’occurrence, la mémoire dite épisodique, celle des événements de notre vie) est alors très fortement sollicitée, et cela de manière inconsciente. Ce retour vers le passé doit permettre de comprendre les comportements actuels et de s’en défaire. L’image souvent utilisée pour illustrer ce retour par étapes vers le passé est celle de l’oignon dont on enlève une à une les couches formant le bulbe. Arrivée à l’épisode du passé qui pose problème, la personne peut le revivre avec toutes les émotions d’origine et en faire une lecture différente avec son regard d’aujourd’hui, d’où une reprogrammation de l’inconscient.

La personne revient ensuite au présent, en laissant son inconscient calculer une nouvelle trajectoire de vie après avoir libéré une énergie qu’elle peut orienter différemment. Le souvenir est réparé, modifié, car revu dans un contexte émotionnel différent. Le passé n’est pas effacé ni réécrit, on change la trace émotionnelle qui pose problème pour proposer de nouvelles options de comportement que l’inconscient choisira. Cette thérapie est appelée « redirection d’histoire de vie ».

Nous avons vu (volet 1) que toute mémoire épisodique est une reconstruction de ce qui s’est passé. Reconstruction affectée par les approximations du souvenir, par l’état émotionnel de la personne, au moment des faits mais aussi aujourd’hui au moment de la récupération de ce souvenir, affectée par des informations ultérieures ou par l’imagination. Alors, quitte à partir d’éléments de toute manière reconstruits sur lesquels on greffe une nouvelle orientation, une restructuration pour le présent et l’avenir, autant en façonner une nouvelle  perception de manière à éliminer les aspects négatifs, sources des problèmes de la personne. « J’ai réinventé le passé pour mieux voir la beauté de l’avenir » (L. Aragon « Les yeux d’Elsa »).

 

  • Les critiques faites aux techniques de régression au regard du fonctionnement de la mémoire

La première critique porte sur le recours à une mémoire qui concerne des périodes souvent très longues et donc sur la véracité des événements revécus. Jusqu’où la mémoire peut-elle remonter ? Avec quelle fiabilité ?

Nous avons vu que les éléments retrouvés par la mémoire sont sujets à caution. Cette mémoire des événements de notre vie est très subjective et en constante évolution, sujette aux modifications liées à notre vision du monde, sensible à notre imagination et impactée par notre environnement. L’environnement de la thérapie en cours n’est pas non plus sans influence. Par exemple, si la personne a la croyance que l’hypnose va lui permettre de retrouver des événements véridiques, elle considérera que tout événement retrouvé dans la régression est véridique. De même, si ce souvenir libère une forte émotion, elle pourra penser que cette émotion est un gage d’authenticité. Ce n’est pas forcément le cas, car il s’agit de l’émotion d’aujourd’hui et non de celle du moment où le supposé événement s’est produit.

Dans un délai assez court après un événement, il ne nous est déjà plus guère possible de savoir si certains aspects qui nous reviennent en mémoire représentent le vécu réel ou s’ils sont le fruit d’aménagements apportés par notre imagination. Il convient donc d’accorder une confiance limitée, au regard de leur véracité, à des souvenirs restitués ou revécus en régression. Or, certaines régressions remontent loin dans le passé puisque des personnes disent revivre leur naissance (« rebirth »), ou leur vie fœtale, voire même des vies antérieures !

Y croire ? Ne pas y croire ?… En tant qu’individu le thérapeute est fondé à être circonspect, mais l’accompagnant qu’il est doit prendre ce que lui apporte son client. Il n’est pas détective, il ne recherche pas « la » vérité. Son rôle est d’accompagner le client afin que celui-ci se porte mieux. D’autant que le souvenir retrouvé par la personne peut être considéré comme une métaphore, une histoire symbolique proposée par son inconscient, pour lui permettre de mieux gérer une situation qui lui pose problème. L’inconscient est imaginatif : s’il manque d’éléments de référence, il sait inventer. Preuve en est le contenu de nos rêves. En tout cas, si le client amène ce souvenir, c’est qu’aujourd’hui il en ressent des effets.

Après tout, est-ce si important de connaître l’exacte vérité de ce qu’il s’est passé dans la vie de la personne ? Nous savons maintenant que la plupart du temps il est impossible de retrouver la vérité objective d’un événement, même, et surtout, par celui qui l’a vécu. Le client s’appuie sur la subjectivité de sa mémoire, donc sur ses croyances, sur sa vision du monde, sur sa réalité, pour retrouver des expériences dont l’authenticité est le plus souvent invérifiable.

Est-ce fâcheux si au bout du compte le thérapeute s’en sert pour que ce client aille mieux ? Est-ce gênant de partir de la vérité de ce dernier, de la représentation qu’il se fait d’un évènement personnel, puisque de toute manière l’objectif est de transformer, changer, recadrer dans sa mémoire l’expérience retrouvée ?

Ce raisonnement est celui de la psychothérapie constructiviste, qui est à la base des « thérapies brèves ».  Un éminent « constructiviste », Paul Watzlawick, nous a indiqué le fondement de cette thérapie « La thérapie constructiviste n’a pas l’illusion de croire qu’elle va faire voir au client  le monde tel qu’il est réellement. Au contraire, elle est consciente de ce que la nouvelle vision du monde est une autre construction, une autre fiction, mais une vision utile, moins douloureuse ».

L’essentiel est alors de savoir si cette nouvelle construction de la réalité est bien adaptée à ce qui perturbe le client. Alors, si sa mémoire lui fait souvenir d’avoir vécu d’autres vies, d’avoir été enlevé par des martiens à un moment de sa vie ou blessé dans un combat de chevalerie au moyen âge, peu importe : ces événements apportés par l’inconscient libèrent une émotion qui pourra être utilisée aujourd’hui pour parvenir au changement souhaité. En cela la régression hypnotique se différencie de la démarche psychanalytique : pas d’interprétation ni de prise de conscience, mais de nouvelles voies pour le changement, afin que le client ne puisse plus dire « Ah ça, j’ai compris l’origine de mes problèmes, mais après toutes ces années de thérapie, je voudrais bien, enfin, aller mieux... ».

Dans les mains de personnes peu scrupuleuses ou mal intentionnées, cette reconstruction peut présenter le danger d’instiller de faux souvenirs. C’est un point que nous développerons dans un volet ultérieur de notre étude, volet consacré aux limites et dérives possibles de l’hypnose dans sa collaboration avec la mémoire.

La seconde critique porte sur la méthode de régression elle-même dont l’essence est d’aller fouiller le passé.

Dans le processus de restitution de souvenirs par la mémoire, le dernier item cité impose sa trace, à savoir que c’est la dernière interprétation du souvenir, la dernière information mémorisée qui, avec le temps, se substitue à la précédente et reste présente. En ce sens, faire revivre des événements traumatiques, les déposer sur la couche supérieure du millefeuille de la mémoire, peut avoir comme résultat de les ancrer encore plus fortement dans le cerveau. Une des phrases favorites de Kandel est « La pratique aboutit à la perfection ». Il signifie ainsi que la répétition incruste le comportement dans la mémoire à long terme, et notamment les comportements nocifs pour la personne.  Par la répétition, nous devenons spécialistes de nos maux. Ruminer, ressasser, en général nous savons faire. Paul Watzlawik a même écrit un livre (« Faites-vous-même votre malheur ») où il décrit les meilleurs moyens que l’homme utilise pour arriver à se rendre malheureux ! Donc accentuer le souvenir d’une souffrance passée, c’est réactiver cette souffrance avec une vigueur nouvelle et ce, d’autant plus que les émotions qui y sont liées sont fortes. L’amygdale déployant alors toute sa puissance pour renforcer la mémorisation de ces événements à l’origine de tant d’émotion (cf  Volet 1).

 Ainsi, « à trop rechercher les causes, les origines de ce qui ne va pas, on risque d'encourager le patient à macérer dans le négatif et le douloureux, l'empêchant d'en sortir, et on risque de rendre le problème plus insoluble encore » (Th Melchior « Créer le réel » et www.thierrymelchior.net

Ces critiques du retour vers le passé et de son corollaire, le recours à la mémoire, sont en partie à l’origine de l’évolution dans les stratégies thérapeutiques. Se tourner vers le passé, c’est se focaliser sur le problème. L’idée inverse est de s’intéresser au « comment faire aujourd’hui  pour aller mieux  », plutôt que sur le « que s’est-il passé » il y a plusieurs années, voire décennies.

D’où une évolution vers des thérapies différentes qui ne se focalisent pas sur le passé, thérapies que l’on peut regrouper dans le mouvement des » thérapies brèves ».

 

  • Un accompagnement moins focalisé sur le passé 

 « On ne peut changer le passé, seulement l’expliquer. Mais à quoi bon ? On vit aujourd’hui, demain… et c’est cela qui compte » professait Milton Erickson. Dans un registre plus humoristique, le cinéaste  Woody Allen dit la même chose « Seul l’avenir m’intéresse car c’est là que j’ai décidé de passer le restant de mes jours ».

Le fondement de ces thérapies n’est pas de savoir pourquoi le problème existe mais comment il subsiste. « Ce qui maintient le problème est plus important que le problème lui-même » répète  Stephen Brooks. La connaissance des causes d’un problème n’est pas forcément nécessaire à son soulagement. Ce qui présente de l’intérêt, c’est ce que l’on constate aujourd’hui : des réactions inadaptées et/ou disproportionnées, des routines ancrées dans la mémoire. La thérapie doit permettre de remplacer ces réactions qui fonctionnent en boucle par d’autres plus appropriées.

L’idée n’est donc pas tant d’explorer la mémoire du passé mais plutôt de créer un changement et de faire en sorte que celui-ci prenne place dans la mémoire pour le futur.

Voyons  le développement de cette idée à travers l’apport novateur du psychiatre et hypnothérapeute américain Milton Erickson. Notre propos n’est pas ici de revisiter tout ce qu’Erickson a apporté à la thérapie, mais de voir de quelle manière il a utilisé la mémoire dans sa pratique.

Certes, dans ses séances, Erickson, revenait parfois au passé par la technique de régression. Il faisait aussi lui-même souvent référence au passé de la personne mais il s’agissait d’un passé général, commun, celui par lequel est passé tout être humain, le passé de nos apprentissages. L’objectif étant  de montrer au sujet qu’il a su apprendre en de multiples occasions : à lire, à écrire, à utiliser des objets, etc. et qu’il a donc en lui les capacités d’apprentissage et d’adaptation qui vont lui permettre d’acquérir les nouveaux comportements utiles à sa thérapie. De même, la thérapie peut s’appuyer sur le souvenir de quelques réussites de la personne, réussites que celle-ci pourra transposer sur son problème actuel. Ou se référer à des moments où le problème n’est pas présent, où la personne connaît des périodes sans trouble, dans le domaine de la douleur par exemple, où l’inconscient sait donc gérer le problème. Tous ces exemples font d’abord appel à la mémoire explicite, celle qu’on exprime par un souvenir.

Mais Erickson faisait surtout appel aux ressources de ce qu’il appelait l’inconscient de son patient. Il n’était pas le premier – dès la fin du 19è siècle, Pierre Janet avait déjà utilisé ce fonctionnement de l’inconscient – mais il a su sortir de l’idée rationaliste communément admise à l’époque (milieu du 20è), selon laquelle notre esprit conscient contrôle tous nos fonctionnements. Et surtout il a mis en évidence les subtilités de communication permettant d’accéder à cet inconscient sans susciter de résistances de sa part. Il considérait qu’un immense réservoir de ressources est en nous, alimenté par les événements de notre vie, nos souvenirs, nos apprentissages, nos manières d’être, nos  blessures et nos satisfactions, nos erreurs et nos compétences. D’où sa célèbre phrase « vous savez beaucoup plus de choses que vous savez que vous savez… » Ce réservoir est notre inconscient, qui de plus ne se contente pas de cette fonction de stockage d’informations mais s’implique dans l’action et  influence constamment nos comportements.

Par ses techniques de l’hypnose, Erickson contourne le conscient pour traiter avec l’inconscient de son patient. S’adaptant au fonctionnement et au langage de l’inconscient, il fait en sorte que les ressources en mémoire soient récapitulées puis recombinées vers de nouvelles voies, afin de parvenir au changement que le patient est venu chercher. « La thérapie est la conséquence d’une re-synthèse intérieure faite par le patient lui-même sur sa manière de se comporter… C’est par ces réassociations et ces réorganisations de sa propre vie que la guérison intervient » (M. Erickson)

Cette re-synthèse n’est pas toujours simple à mettre en place. En effet, si le conscient sait à peu près ce qu’il veut laisser derrière lui et ce vers quoi il désire aller, l’inconscient voit tout le reste : ce qui n’allait pas jusqu’à maintenant, ce qui empêche le changement et parfois ce qui était malgré tout positif pour la personne dans ce qui n’allait pas, d’où quand même un intérêt au maintien de la situation antérieure. Cet antagonisme peut être traité par l’hypnose, qui permet d’instaurer une négociation entre les deux parties, comme l’illustre par exemple la « méthode de Rossi ».

 

  • Des thérapies épurées : la méthode de Rossi et l’hypnose sèche

Ernest Rossi fut l’un des derniers collaborateurs d’Erickson. Il est le créateur de la méthode qui porte son nom. Méthode très épurée qui repose sur les ressources et les capacités de l’inconscient. Un minimum d’échanges verbaux, donc pas de recours à la mémoire explicite. On demande à l’inconscient s’il est d’accord pour gérer le problème, puis il lui est demandé d’aller chercher dans les ressources de la personne tous les éléments utiles au règlement du problème. Une fois les éléments collectés, l’inconscient est invité à intégrer toutes les informations qu’il a récoltées, à évaluer les solutions possibles et choisir celle qui lui paraît la plus pertinente, puis à mettre en place les ressources utiles au changement.

C’est donc une mémoire implicite qui est mise en œuvre : sa puissance de gestion des informations lui permet de récapituler tout ce qui est en lien avec le changement souhaité et sa capacité à agir lui permet de mettre en place ce changement. Et cela, sans que le client ait conscience du changement.

On pourrait penser que cette méthode est à la limite du minimalisme. Pourtant une autre méthode va plus loin. On lui a donné le nom « d’hypnose sèche » et elle fut beaucoup pratiquée dans les pays de l’ex-bloc de l’Est. Certains praticiens de l’Europe de l’Ouest la pratiquent toujours.

Le principe est que le thérapeute induit l’état d’hypnose puis laisse ensuite le client dans cet état pendant toute la séance sans intervenir. Il s’agit donc d’une hypnose silencieuse, où l’on considère que c’est l’état hypnotique lui-même qui permet de trouver les solutions, l’inconscient inventant de nouvelles possibilités d’action à partir des associations que la transe hypnotique permet.

Au moins on évite ainsi les biais dus aux croyances ou au comportement du thérapeute. Mais il serait inexact de considérer qu’il ne se passe rien. La présence, même informelle, de l’hypnothérapeute met en oeuvre une alliance thérapeutique, laquelle entraîne des effets. Et l’inconscient est très actif, récapitulant librement les éléments présents en mémoire et qu’il juge intéressants, avant de les réorganiser.

 

  • La notion de mémoire implicite rejoint celle de l’inconscient ericksonien

On aurait pu penser qu’en laissant de côté les investigations explicites dans le passé de la personne, la mémoire serait mise de côté en thérapie. Or, c’est tout le contraire qui se produit : la thérapie repose sur la mémoire, mais une mémoire inconsciente, beaucoup plus riche, recombinée, réorganisée et capable d’en tirer les conséquences sur les comportements.

Dans l’inconscient vu par Erickson, le lecteur aura reconnu la puissante mémoire implicite que nous avons décrite dans la première partie de cet article : notre idée est donc que l’inconscient décrit par les hypnothérapeutes d’une part et la mémoire implicite modélisée par les neuroscientifiques d’autre part, sont un seul et même concept. Comme bien souvent, l’intuition géniale des uns aura précédé l’apport scientifique des autres.

En soi, il s’agit d’une simple question de terminologie qui ne change rien aux pratiques de la thérapie. Cependant, en confirmant ainsi les pratiques de l’hypnose ericksonienne, la notion de mémoire implicite permet de s’appuyer sur quelque chose de plus rationnel…et rassurant pour les clients, tout en gardant le côté magique du rôle de l’inconscient.

 

  • Pourquoi ces routines de l’inconscient qui posent problème ?

Dans les milieux de l’hypnose, on parle de la bienveillance de notre inconscient. A propos de la mémoire implicite, nous avons évoqué le fait qu’elle possède comme un diapason de ce qui est bon pour nous, grâce à sa capacité de synthèse de toutes nos réactions passées. Ainsi, tous nos comportements étant accordés à cette référence, nous ne devrions avoir que de « bons » comportements, utiles à notre vie. Et à ce compte, les professions de psychothérapeutes n’auraient jamais dû voir le jour !

Ce n’est bien évidemment pas le cas. Comment expliquer que notre mémoire explicite/inconscient déclenche des réactions qui nous posent problème, des routines de comportement qui s’imposent à nous et contre lesquelles nous n’arrivons pas à lutter consciemment ? Il peut exister plusieurs raisons à ces dysfonctionnements.

La mémoire implicite/inconscient « sait » a priori, après les dizaines de milliers de situations quotidiennes qu’elle a vécues à l’intérieur de nous-mêmes, ce qui est bon pour nous. Elle déclenche donc ce qu’elle pense être les bonnes réactions. Pour cela, elle récapitule les réactions antérieures qu’elle a mises en place dans la même situation et en propose une copie pour la situation actuelle, elle généralise. Seulement, parfois cette réaction est archaïque et n’est pas adaptée au mode de fonctionnement actuel de la personne. Ou bien la réaction, qui a pu être efficace à un certain moment, est mal calibrée pour le problème actuel et déclenche une émotion trop forte. Ce qui a pu être utile dans une situation passée ne l’est plus aujourd’hui.

De plus, elle est une mémoire, elle fonctionne donc comme… une mémoire, c'est-à-dire par association d’idées : un chemin se crée dans le réseau neuronal, chemin emprunté au fur et à mesure de la similitude des situations, chemin qui s’installe, sillon qui se creuse, d’où une routine qui s’auto-entretient.

On lit et entend souvent que la personne possède en elle toutes les ressources pour changer. Il convient de nuancer cet avis : la mémoire implicite/inconscient possède tout ce que la personne a vécu, ce qui est déjà beaucoup, mais pas toutes les solutions dans l’absolu. C’est la raison pour laquelle la réaction proposée peut n’être qu’un pis-aller, l’inconscient manquant de connaissances, de références pour une situation donnée.

Autre raison aux dysfonctionnements de la mémoire implicite, cette réaction qu’elle met en place peut être le résultat d’une moyenne entre deux maux, ce qui la rend moyennement utile. C’est l’exemple de la personne stressée dont l’inconscient a compris qu’une cigarette aide à évacuer une partie de la tension.

Dans d’autres cas, la mémoire implicite résiste au conscient pour changer car elle voit un danger dans le changement souhaité, lequel aurait des conséquences plus nocives que la situation actuelle.

Le problème est de savoir comment faire en sorte que la mémoire implicite/inconscient sorte de ces routines, de ces sillons, surmonte les résistances et propose d’autres solutions.

 

  • Comment sortir des comportements inadaptés

La mémoire implicite est trop puissante, par ses routines récurrentes, pour que le conscient sorte vainqueur d’une confrontation avec elle. En revanche, de par sa nature, elle est une machine à apprendre, à synthétiser la nouveauté avec ce qu’elle sait déjà. L’objectif va donc être de s’allier à elle et de la motiver à trouver d’autres voies.

Grâce à l’hypnose (par accompagnement ou par autohypnose), en adoptant son langage, en lui fixant un objectif précis, en lui demandant d’imaginer l’intérêt futur d’une autre solution, il sera possible de désorganiser les chaînes de ses réactions, de la faire sortir des sillons neuronaux creusés par ses associations d’idées récurrentes, c’est-à-dire de désapprendre ses apprentissages, de l’orienter vers d’autres associations et un autre fonctionnement, bref de la rééduquer. Tout en suscitant une émotion agréable qui d’une part fera comprendre à la mémoire implicite/inconscient que la direction est bonne et d’autre part renforcera la mémorisation du changement.

 

  • Des techniques de changement adaptées au fonctionnement de la mémoire

A l’intention de nos lecteurs moins familiers des choses de l’hypnose, disons quelques mots de techniques employées en thérapie, techniques de base bien connues des praticiens en hypnose et qui utilisent les caractéristiques du fonctionnement de la mémoire : les sous-modalités, les ancrages, la futurisation.

-        Les sous-modalités : le souvenir d’un événement contient l’événement lui-même, mais aussi tout ce qui l’environne, tout son contexte. Par exemple, le souvenir d’une altercation avec un collègue de travail vous taraude. Vous avez mémorisé la scène où ce collègue est furieux, son visage tendu, sa voix forte, mais aussi l’endroit, l’environnement, les témoins de la scène, etc. Cet environnement, ce contexte constituent l’ensemble des sous-modalités de l’événement.

Or ces éléments sont enregistrés chacun dans une région différente du cerveau, la récupération du souvenir étant alors constituée de la somme de ces enregistrements. On parle d’engramme.

Lors de la récupération il est possible d’agir sur le souvenir de l’une ou l’autre de ces sous-modalités, en la réduisant, l’augmentant ou le transformant. L’image du visage du collègue en train de vitupérer peut être ainsi rapetissée, éloignée ou rendue floue, sa voix forte transformée en voix de crécelle, etc.  

En modifiant l’un ou l’autre des constituants de l’événement, on change la perception globale de l’événement. C’est une technique très utile en thérapie.

-        Les ancrages : un morceau de musique vous rappelle un moment de bonheur, un parfum vous remet en présence d’une personne aimée, une madeleine rappelle à Proust des instants heureux de son enfance… A l’inverse, vous repassez dans un lieu où vous avez eu un accident et l’angoisse vous saisit sans que vous puissiez la maîtriser…

En fait, lors d’une émotion, votre mémoire a assimilé un stimulus externe à cette émotion. Il suffit que le stimulus soit réactivé pour que l’émotion remonte en surface. Cette capacité d’association, cette alliance d’un stimulus et d’une émotion est caractéristique du fonctionnement de notre mémoire.

En thérapie, en accompagnement, cette technique est utile pour créer par exemple un état de bien-être, de confiance, une émotion positive par l’association à un geste (serrer le poing, se pincer l’oreille, etc). On parle « d’activation d’ancre ».

La plupart du temps, il est d’abord nécessaire de se débarrasser d’un comportement, en désactivant une ancre négative, avant d’activer une ancre positive permettant d’installer un nouveau comportement.

-        La futurisation :

Le changement s’ouvre vers l’avenir, ce qui peut susciter de l’incertitude, voire une certaine angoisse. On peut alors demander à l’inconscient d’anticiper le changement, d’imaginer le nouveau comportement, la nouvelle situation, déjà en place dans l’avenir. Cela permet à l’inconscient de vérifier que ce qu’il imagine est cohérent et donc éventuellement de corriger la solution envisagée.

En outre, la personne est associée à cet avenir, ce qui lui permet de ressentir l’émotion de cette nouvelle situation (par exemple être en confiance devant un public, rester calme dans telle situation). Cela peut s’analyser comme une mémoire du futur qui va, d’autant qu’elle s’accompagne d’une émotion, se fixer dans la mémoire et devenir pour le cerveau une réalité à atteindre.

 

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En guise de conclusion…

Parlons pour terminer, d’un phénomène que l’on ne peut mettre de côté lorsqu’il est question de mémoire : l’amnésie. L’amnésie est surtout utilisée pour oublier ce qui s’est passé pendant la séance, afin que le conscient « réveillé » et ignorant du changement qui s’est opéré, ne vienne pas perturber la mise en place du changement créé par l’inconscient.

La mémoire est fragile, même pour un cerveau en pleine santé. Mais cette constatation ne s’applique qu’à la forme de mémoire la plus courante, la mémoire explicite, celle dont on peut mesurer consciemment les résultats à travers les souvenirs qu’elle nous permet de retrouver. Une autre forme de mémoire, la mémoire implicite, ou inconsciente, est elle beaucoup plus performante. Elle veille sur tous nos fonctionnements et grâce à l’hypnose, on peut s’associer à elle pour obtenir les changements nécessaires en thérapie.

 

Merci à Michel Wosniak pour sa relecture de ce texte et pour ses conseils avisés.