Le déni et la loyauté familiale, conséquences de la violence éducative ordinaire (VEO) : une arme à double tranchant.
DR Cornelia Gauthier
Médecine générale FMH
Médecine psychosomatique ASMPP
"En fait, je ne sentais plus rien. Une intelligence plus profonde que ma conscience me protégeait de souffrir en m'installant dans l'indifférence."
Eric Emmanuel Schmitt
Etrangement, plus un enfant est maltraité, moins il s’en plaint, particulièrement si les personnes qui lui ont fait du mal sont ses propres parents. Non seulement un enfant ne dénonce jamais les mauvais traitements qu’il subit dans le contexte familial, mais encore, il déformera la réalité pour en protéger les auteurs.
Ce processus inconscient est probablement indispensable pour survivre, mais il se transformera en piège. Devenu adulte, l’enfant ne parviendra plus à en sortir sans l’aide d’un témoin neutre, d’une main secourable selon Alice Miller ou d’un tuteur de résilience selon Boris Cyrulnik.
De quoi est donc fait ce piège ?
Des violences subies ? Du désarroi ? Du secret ? De la honte ? De la peur ? De la culpabilisation ? De l’attachement ? Du mensonge ? Du déni ? Ou plutôt, de tous ces différents facteurs réunis ?
Le résultat en sera une problématique dénommée « la loyauté familiale ».
Déni versus mensonge
Lorsque l’enfant ne dénonce pas les faits ou même les dénie, est-ce qu’il ment sciemment ou non ? S’agit-il de mensonge ou de déni ? Quelle est la différence entre ces deux phénomènes ?
Bien que ces deux comportements aient pour but de transformer la réalité, le déni et le mensonge sont à différencier l’un de l’autre. Le mensonge représente une volonté consciente de transformer la réalité de quelques instants ou de quelques faits alors que le déni est un processus inconscient qui englobe des espaces-temps s’étendant sur des domaines particuliers et durant parfois toute la vie. Bien évidemment, le mensonge et le déni ne s’excluent pas l’un l’autre.
Le mensonge
Le mensonge est l'énoncé délibéré d'un fait contraire à la vérité, ou encore, la dissimulation de la vérité. C’est un comportement extrêmement fréquent puisqu’il semble que chacun d’entre nous mente environ trois fois par jour. Ce qui est très surprenant, c’est que malgré cette fréquence, nous restions très crédules et ne mettions pas en doute la bonne foi de nos interlocuteurs. Et vice versa, nous avons de la chance que bon nombre de nos interlocuteurs avalent tout cru nos couleuvres.
Le mensonge n’étant pas le sujet de cet article, nous nous contenterons de le définir rapidement afin de le différencier du déni.
Mentir consiste à dire le contraire de la vérité dans l'intention de tromper l’autre pour le meilleur ou le pire. Les intentions de mentir sont diverses et variées et peuvent avoir plusieurs visées comme :
On peut mentir par :
Et, bien sûr, de nombreuses combinaisons entre ces diverses variations et composantes sont possibles en même temps.
Le mensonge comporte souvent un côté sain car, comme le rappelle le dicton populaire, « toute vérité n’est pas bonne à dire ». Trop de franchise peut être douloureux pour l’autre. Si chacun de nous passait son temps à dire les choses telles qu’il les ressent ou les voit, le monde risquerait bien d’être très inconfortable pour beaucoup d’entre nous. Ne pas tout dire pour protéger l’autre est une précaution qui relève de l’empathie et de la compassion. Par exemple, lorsque quelqu’un présente une infirmité ou un défaut de beauté, nous faisons semblant de ne rien voir et c’est tant mieux. C’est le propre du mensonge altruiste.
Le mensonge d’adaptation consiste à cacher une partie de la vérité pour qu’elle soit plus acceptable, mais sans falsifier le reste. Le moteur de cette forme-là tend à permettre aux deux parties de rester confortables sans faire trop de vagues.
Par contre, bien qu’émanant également d’un but de protection de l’autre, le mensonge peut comporter une autre facette, nettement moins constructive, qui consiste à cacher la réalité à autrui. Selon les circonstances, ceci a parfois comme conséquence d’amputer l’autre d’une partie de sa vie. Même si le but en est louable et relève d’une bonne intention, cela empêche cette personne de pourvoir s’organiser et se responsabiliser dans sa vie. C’est typiquement la situation où l’on cache à autrui un diagnostic de maladie mortelle. Ce faisant, on prive cette personne de s’organiser en conséquence, mais également, de pouvoir partager ses angoisses et ses peurs. Sans le vouloir ni en prendre conscience, on l’enferme dans sa solitude. Tout le monde sait, sauf la première concernée. C’est du moins ce que l’on croit. En réalité, elle s’en doute aussi. Mais, confortée par l’attitude mensongère de l’entourage, elle se trouvera rapidement prise dans le phénomène du déni que nous allons développer ci-dessous. Lui mentir dans ces conditions aggrave son déni.
Il y a aussi le mensonge malhonnête qui consiste à nier une réalité dont nous sommes responsables et parfois même d’en rejeter la faute sur autrui. Cette manière de faire est nettement motivée par la peur ou la honte ou par les deux en même temps. Bien qu’elle relève du vécu d’expériences difficiles, le « C’est pas moi ! » de l’enfance se perpétue encore chez certains à l’âge adulte. Cette forme de mensonge trahit un grand manque de confiance en soi. Elle est la conséquence de toutes sortes de violences subies qui ont menacé l’équilibre physique et psychique de la personne. On observe fréquemment ce mécanisme chez les personnes qui ont subi les affres de la violence éducative ordinaire. Bien que les causes en soient compréhensibles, il s’agit néanmoins de lâcheté, faiblesse qui mériterait que le menteur se fasse aider pour retrouver sa confiance de base. Cette démarche nécessiterait une psychothérapie.
Il existe bon nombre de situations où l’on protège l’autre et soi-même en même temps. La plus évidente et la plus fréquente, sans doute, est la tromperie dans le couple. Elle se passe souvent en plusieurs étapes et commence en principe par le mensonge par omission pour finir par celui de la falsification. Ce tissu de mensonges a pour but de protéger aussi bien celui qui trompe que celui qui est trompé.
Certains menteurs se sentent mal à l’aise lorsqu’ils ne disent pas vrai la vérité, d’autres rougissent sous l’effet d’un sentiment de culpabilité ou de honte. Par contre, il y a une frange de la population qui a un faible niveau de conscience morale et dont on dit « qu’ils mentent comme ils respirent ».
Finalement, il faut mentionner la mythomanie qui est une situation rare relevant d’une maladie psychiatrique. Il s’agit d’une forme de psychose qui coupe totalement la personne de la réalité et qui l’entraîne à produire des fabulations auxquelles elle croit elle-même. Il semblerait que la mythomanie puisse prendre racine dans la petite enfance. En cas de négligence affective grave, le petit enfant va se créer un monde parallèle afin de survivre à son désert relationnel. Ces enfants souffrent d’un manque de sécurité affective qui leur est pourtant indispensable. Ceci est particulièrement invalidant lorsque la mère, le père, ou parfois les deux, sont psychologiquement ou physiquement absents ou bien s’ils sont trop préoccupés par leurs propres problèmes ou ceux de leurs autres enfants. Il s’en suit chez ces enfants délaissés un précoce et intense sentiment de solitude intérieure que leur imaginaire s’efforce de combler.
Nous vivons tous quelques fantasmes dans nos esprits, mais nous savons que ce sont des fantasmes et nous les gardons pour nous. Par contre, les mythomanes les vivent sans recul et les mensonges qu’ils profèrent sont en premier lieu destinés à être crus par eux-mêmes.
Le déni
J’avais vingt ans la première fois que je me suis trouvée confrontée à cette problématique. J’étais aide-infirmière et ne connaissais encore rien de la médecine. L’infirmière avec laquelle je travaillais tous les jours m’avait confié, qu’à deux ans d’intervalle, elle avait subi l’ablation des deux seins en raison d’un cancer.
Un jour, elle eut des difficultés à respirer et fut hospitalisée dans ce même hôpital. On procéda à la ponction d’une grande quantité de liquide qui s’était accumulée autour de ses poumons et qui avait même déplacé le cœur.
J’ai alors immédiatement entrevu une relation entre sa maladie actuelle et ses antécédents, mais elle n’avait pas l’air de la voir. Elle est morte très rapidement de son cancer généralisé. Pourtant, peu de jours avant sa mort, elle m’avait expliqué, qu’on ne lui avait pas retiré les deux seins en raison d’un cancer, mais pour d’autres raisons médicales.
Pendant longtemps, je me suis interrogée sur ce processus mental encore inconnu pour moi. Ce n’est que bien plus tard que j’ai pu identifier le déni et en comprendre les raisons.
Par la suite, j’ai été confrontée une nouvelle fois à la gravité du déni au travers de mes patients alcooliques. En effet, le déni de l’alcoolique est tellement important qu’on peut pratiquement l’inclure dans les critères diagnostiques de la maladie. Cette confrontation quotidienne à ce « dinosaure dans le salon » selon une expression empruntée à Suzan Forward, m’a permis d’en comprendre les tenants et les aboutissants.
Je pensais avoir maitrisé le sujet lorsque j’ai été surprise à nouveau par l’énormité du déni, cette hydre géante qui s’infiltre partout. J’animais un atelier avec des éducateurs dans le cadre de la prévention de la violence éducative dans un pays où quatre-vingt-quinze pourcents des enfants sont tapés dans les écoles. Comme la violence éducative y est monnaie courante, on peut en déduire qu’une majorité d’enfants sont aussi violentés dans les familles.
J’avais demandé aux participants de répondre de façon anonyme à la question : « avez-vous reçu des coups de la part des adultes lorsque vous étiez enfants ? ». Je m’attendais à recevoir au moins quatre-vingt-dix de réponses affirmatives. Quelle ne fut ma stupéfaction lorsque je n’en trouvais qu’un tiers !
J’ai alors compris que le mal est encore bien plus sournois et grave que ce que l’on peut en dire généralement.
Alors, qu’en est-il de ce déni et pourquoi est-il à double tranchant ?
Quelle en est la relation entre déni et violence éducative ordinaire (VEO) ?
Commençons par définir ce qu’est la violence éducative ordinaire (VEO)
Ce terme se réfère à l’éducation habituelle que tout parent applique, celle que presque chacun d’entre nous a reçue de ses parents et que nous reproduisons spontanément de générations en générations à défaut de s’y être intéressé.
A l’instar d’un disque dur, nos cerveaux ont été programmés par ces méthodes d’interactions archaïques avec nos enfants. La VEO est très différente de la maltraitance qui, heureusement, est beaucoup moins fréquente. Dans le cas particulier des enfants battus, ces comportements destructeurs n’ont aucun but éducatif.
La VEO, au contraire, est supposée forger chez les enfants un caractère fort et solide en leur inculquant les « bonnes manières ». Les parents et enseignants pratiquent la VEO parce qu’ils sont convaincus d’œuvrer dans l’intérêt des enfants. Ces parents et enseignants ont eux-mêmes subi ces méthodes éducatives et en ont fait leur référence. C’est la raison pour laquelle bon nombre d’entre eux auront du mal à s’empêcher de les reproduire. Heureusement, une minorité de parents choisiront de faire autrement. Mais, à leur insu, ils basculeront dans un excès de protection.
La violence éducative ordinaire comporte autant l’usage de coups que de cris, de diverses manipulations psychologiques négatives telles les menaces, le chantage, les dévalorisations, les comparaisons, les humiliations, et toutes autres formes de pressions psychologiques.
Dans la mesure où les enfants subissent la VEO depuis leurs plus tendres années, ils feront de ce modèle éducatif une normalité. Malgré les douleurs ressenties, ils se persuaderont que les coups leurs font du bien et c’est ainsi que la confusion s’infiltrent dans leurs systèmes de références et de pensées. Si aucune prise de conscience n’intervient par rapport à l’aberration de ce modèle éducatif et de la gravité de ses conséquences, le nouveau parent reproduira, à son tour, cette façon de faire comme il le ferait d’une langue maternelle.
Il n’est pas question de culpabiliser ceux qui ont pratiqué ou qui pratiquent encore la VEO. La plupart du temps, ils agissent par méconnaissance ou par simples répétitions de comportements intégrés dans l’enfance. Les parents aiment leurs enfants et s’ils en avaient les outils, ils feraient autrement. Pour sortir du déni collectif, il faut commencer par identifier cette VEO. Il faut que nous renoncions à la partie protectrice du déni. Elle ne nous mène nulle part. Elle est délétère pour nous et nos générations futures.
Qu’est-ce que le déni ?
Au contraire du mensonge, la situation de déni consiste à être sourd, aveugle ou insensible à une partie de la réalité. Il s’agit d’un refus inconscient de réaliser et ressentir certaines perceptions pourtant évidentes. Ainsi, un fragment, parfois même une partie très importante de la réalité, se voit totalement ignoré. La personne qui se trouve dans un déni se comporte comme si cette réalité n'existait pas alors même qu’elle la perçoit. C’est un mécanisme de défense contre l'angoisse déclenchée devant une réalité insoutenable. Pour un observateur extérieur, cela peut être déstabilisant, car on a l'impression que la victime du déni est de mauvaise foi ou qu'elle ment. La personne est-elle malade ou malhonnête ? En effet, la victime du déni n’est pas totalement inconsciente de la réalité perçue, mais elle se comporte comme si elle n'en savait rien. Parfois, c’est déroutant, car elle est capable d'aller très loin dans cette dissociation, tout en persistant dans un comportement consistant à ignorer l’évidence. L’exemple du boulimique permet d’illustrer cette étrange situation. Lorsqu’il souffre d’obésité morbide, le malade consulte un médecin pour cet excès de poids tout en continuant cependant à remplir chaque recoin de son réfrigérateur et à le dévaliser voracement tous les jours.
Le déni : une arme à double tranchant
Le déni représente une situation paradoxale dans la mesure où il comporte une partie constructive et une autre destructive. Dans sa fonction la plus noble, le déni sert avant tout à se protéger de la douleur de la prise de conscience. Mais, à l’inverse, il nous empêche d’identifier certaines réalités indispensables au bon déroulement de notre vie. C’est ainsi que certaines personnes vont trop longtemps ignorer des symptômes physiques avant de consulter pour, finalement, se retrouver face au « trop tard » d’une situation médicale dépassée.Ainsi en est-il aussi dans les cas d’alcoolisme ou de boulimie. Le fait de ne pas considérer cette problématique avec toutes ses conséquences médico- psycho-sociales permet aux personnes atteintes d’éviter le sentiment de honte qu’elles ressentiraient inévitablement face à leur trouble comportemental.
Mais le déni les empêche de trouver les moyens de sortir du cercle vicieux de la dépendance. Ce déni de réalité entraînera forcément une accumulation de troubles supplémentaires qui renforceront la nécessité protectrice du déni. D'un côté, le déni fournit un abri temporaire permettant d'oublier les blessures ou de gérer des situations terrifiantes. D'un autre côté, il nous rend aveugle vis-à-vis de nos comportements autodestructeurs ou de ceux des autres envers nous.
Les deux faces du déni ne sont pas égalitaires car, comme nous le verrons, la part négative l’emporte nettement sur la positive.
On observe aussi qu’il y a une évolution dans le temps : le déni est positif et protecteur uniquement à son début. Il évoluera rapidement dans son aspect négatif et destructeur, pour soi tout d’abord, puis pour les autres aussi, par effet ricochet.
Le côté positif du déni
Le déni est une stratégie de défense qui permet d’éviter une réalité trop angoissante. Il nous protège d’une douleur physique ou psychique impossible à assumer.
C’est bien ce qui se passe pour les patient atteints de maladies somatiques graves. Le déni de réalité constitue un mécanisme protecteur face à une mort prochaine, ce qui leur permet de «vivre normalement » en diminuant l’angoisse dont ils risquent de souffrir.
Le déni est aussi un mécanisme fondamental de survie pour tous les enfants qui sont violentés par leurs parents ou autres adultes, que ce soit dans le domaine de la violence éducative ordinaire, mais également celui de la maltraitance et des agressions sexuelles. En effet, si les enfants prenaient vraiment conscience de l’inadéquation ou de l’agressivité de leurs parents, ils ne pourraient plus les aimer.
Or l’attachement fait partie des besoins fondamentaux du petit enfant et il a absolument besoin d’être relié profondément à ses parents. Devant l’inacceptable, le déni se met en place spontanément et protège ainsi l’enfant de cette situation impossible. Le déni fonctionne comme un réflexe de survie et c’est ce qui sauve l’enfant de l’effondrement psychique et même, parfois, de la mort par dépérissement.
Mécanisme du déni
Comme je l’ai évoqué ci-dessus, le déni représente une dissociation partielle du psychisme face à une réalité insupportable comme celle d’avoir une maladie mortelle, de trop boire, de trop manger, d’être maltraité ou enceinte (déni de grossesse). En effet, nous pensons toujours que les personnes qui boivent ou qui mangent trop, mentent. C’est vrai, en partie, et même fréquent mais, en partie seulement. Car, à leur insu, se produisent simultanément des phénomènes de dissociation dans leur psychisme. Or, un état de dissociation empêche d’enregistrer ce qui est en train de se produire.
Le cas de l’une de mes patientes obèses permet d’illustrer cette problématique dissociative. Elle se plaignait de ne jamais perdre un gramme. Pourtant, disait-elle, elle ne mangeait que des produits allégés. Sa fille me disait tout le contraire. Son chariot de courses et son frigidaire débordaient.
Un jour, elle me confia interloquée, qu’elle était allée manger une pizza comme tous les jours (elle me donnait, sans le vouloir, l’information qu’elle ne mangeait pas que des produits à basses calories) et que la serveuse l’avait regardée avec étonnement, lui disant : « Mais vous en avez déjà mangée une, il y a une heure ». Une dissociation l’avait empêchée d’enregistrer cet événement et, par conséquent, de s’en souvenir.
La dissociation initiale est une réponse immédiate à un stress intense. Qui n’a pas entendu l’histoire du menuisier qui s’est coupé un doigt et qui n’a pas ressenti de douleur sur le coup ? Dans le cas cité ci-dessus, le stress est dû au fort sentiment de culpabilité qui tenaille tous les boulimiques.
Comme l’explique bien la Dr M. Salmona, psycho-traumatologue, lorsqu’on atteint un stade de stress occasionnant une très forte sécrétion d’adrénaline et de cortisol, le corps est momentanément en danger de mort. Cela se produit sous l’effet de l’amygdale cérébrale (à ne pas confondre avec celles qui se trouvent dans la gorge). Il faut alors créer d’urgence un court-circuit pour permettre d’éteindre la réponse émotionnelle de la peur. Cette disjonction se fait grâce à la sécrétion, par d’autres zones du cerveau, de neuromédiateurs antagonistes que sont les endorphines et les enképhalines.
La disjonction entraîne immédiatement une anesthésie émotionnelle et physique. Les personnes dissociées décrivent souvent une sensation d'irréalité, de déconnexion, le sentiment de vivre les choses de l'extérieur, en spectateur.
Par la suite, à chaque fois que la personne se retrouvera dans une situation semblable, le même processus dissociatif se produira automatiquement et entraînera le déni comme conséquence. Tout ce mécanisme est automatique et inconscient et relève de la psycho-traumatologie.
Conséquences du déni
Autant le déni est un mécanisme protecteur qui permet aux personnes qui le subissent de survivre à des situations parfois extrêmes, autant ce processus dont elles ne sont pas conscientes ne peut plus s’arrêter de lui-même. Les personnes concernées se retrouvent dorénavant dans des schémas de pensées et de fonctionnement dont elles ne peuvent plus sortir. C’est un peu comme si elles s’étaient enfermées dans une prison et qu’elles en avaient jeté la clé.
Le problème, c’est que chaque déni d’une situation précise entraîne des conséquences comportementales : celui qui nie son alcoolisme boit plus, celui qui ignore son problème de boulimie mange plus, celui qui ne voit pas les dangers se met dans des conduites à risques, ceux qui nient les mauvais traitements subis vont les reproduire.
Comme nous le disions, la personne dans le déni perçoit tout de même une certaine partie de la réalité. Mais, comme elle ne peut plus se remettre en question et y déceler sa propre responsabilité ou celle de ses proches, elle procède à un étonnant processus que nous appelons la projection. Ce mécanisme induit la personne à voir sa problématique personnelle transposée sur autrui. Pour reprendre l’exemple de ma patiente obèse souffrant d’environ cinquante kilos excédentaires, elle ne cessait de critiquer la silhouette de sa fille qui avait un léger surpoids de quatre kilos. Ses commentaires journaliers étaient : « Arrête de tout le temps manger, tu es trop grosse ».
Pour pouvoir sortir d’un déni quel qu’il soit, il est nécessaire que quelqu’un aide les personnes atteintes à voir cette réalité qu’elles veulent éviter. Elles ont besoin de se sentir soutenues, accompagnées, sans qu’il n’y ait jamais aucun jugement dans les yeux ou les propos de l’autre. Cette manœuvre est extrêmement délicate. Une critique ou une vérité trop franchement formulées ne feraient que renforcer le verrouillage.
Le déni de la violence éducative ordinaire
Cette forme de déni est certainement la plus fréquente et la plus grave, car elle est probablement la racine de toutes les autres formes de déni. Ce dernier est massif et se rencontre presque chez tout le monde car nous avons tous, à quelques exceptions près, été soumis à cette forme d’ « éducation » basée sur la peur, la douleur et la contrainte. La problématique principale de ce déni est qu’il démarre, à notre insu, dès la plus tendre enfance, lorsque les premières violences éducatives commencent. Le déni de cette réalité insoutenable est indispensable à l’enfant pour qu’il puisse continuer à aimer ses parents envers et contre tout.
Une deuxième composante très importante se rajoute à cela. Comme les enfants apprennent par imitation, très tôt déjà, ils intègrent la violence éducative comme étant normale. C’est pourquoi, plus tard, ils ne la remettront pas en question et la reproduiront. Souvenons-nous de la question anonyme que j’avais posée aux éducateurs au sujet des violences subies et de leurs réponses surprenantes : plus de deux tiers des personnes avaient nié ces violences. Qui ces personnes cherchaient-elles à protéger sinon elles-mêmes ? On peut imaginer à quel point les violences subies ont dû être graves pour verrouiller leur prise de conscience à ce point-là !
Pour revenir à ma découverte du déni massif des enfants frappés devenus adultes, j’avais par hasard planifié cette tentative de sensibilisation deux jours de suite, dans deux ateliers différents, avec deux populations différentes. Pour les premiers, l’atelier sur la violence était la première confrontation à la problématique alors que les participants de l’atelier du lendemain avaient déjà suivis de nombreux stages sur le sujet. Les résultats de cette mini enquête se sont révélés foncièrement différents : dans le même pays et les mêmes écoles, avec des personnes du même âge environ, trois quart des personnes sensibilisées reconnaissaient avoir reçu des coups. Bien que le nombre de personnes interrogées soit trop faible pour être significatif, on pourrait être tenté de penser que plus la connaissance concernant une problématique augmente, moins le déni n’a de prise.
La métaphore de l’hydre géante qui s’infiltre partout décrit ce déni de violence éducative ordinaire qui est un phénomène mondial. Celui-ci interfère avec une grande majorité des relations qui régissent les sept milliards d’humains qui l’ont subie et qui la subissent encore, par le procédé de la transmission intergénérationnelle. C’est un peu comme le serpent qui se mord la queue : la violence éducative induit le déni qui permet à cette violence de se reproduire et qui, à son tour, produit un nouveau déni. Pourtant, depuis des millénaires qu’elle est appliquée, il suffirait de se poser la question de l’utilité de cette violence éducative. On se rendrait alors vite compte de sa parfaite inefficacité à juguler les échanges violents.
Il y a une troisième complication dans ce déni de la violence éducative et qui n’est pas des moindres : elle s’appelle la loyauté familiale.
La loyauté familiale
Quoi de plus beau que d’être loyal ?
A l’instar d’un diamant, cette qualité noble brille de mille feux avec ses multiples facettes que sont la sincérité, l’honnêteté, la droiture, la fiabilité, la vérité, la franchise, la fidélité, la régularité, la constance, le sérieux, la responsabilité, le respect, la confiance, le dévouement.
Ensemble, avec le pardon et la promesse, la loyauté représente les trois piliers fondamentaux de la morale. La loyauté est une qualité humaine qu’il convient de cultiver pour autant qu’elle s’intéresse à de nobles causes et valeurs. Et pour que cette loyauté soit pure et constructive, il est impératif que l’on commence à être loyal avec soi-même.
Telle une médaille, la loyauté a deux faces, la claire et l’obscure. Souvent, malheureusement, nous n’en connaissons pas le côté invalidant. Ainsi, nous transformons, à notre insu, cette belle qualité en défaut, particulièrement lorsque nous sommes loyal en faveur des autres à notre détriment. Ne dit- on pas que charité bien ordonnée commence par soi-même ?
Au sujet de la loyauté familiale, c’est bien là que le bât blesse. Alors posons-nous les questions suivantes :
La loyauté familiale est pratiquée par les plus faibles en faveur des plus forts, la plupart du temps, par les enfants vis-à-vis de leurs parents. Elle relève d’un processus inconscient qui s’installe dans le psychisme des enfants en parallèle au développement du déni consécutif aux violences subies.
Dans nos pays d’influence judéo-chrétienne, nous pensons que cela est dû au quatrième commandement : « Tu honoreras ton père et ta mère ».
Faut-il dire en passant que ce commandement est assez étrange, car tous les parents ne sont pas honorables. Pourquoi le petit enfant devrait-il respecter un parent abject ? Pourquoi serait-ce le rôle de l’enfant d’excuser un parent qui persiste dans des comportements déviants ? Ne pourrait-on pas proposer à Moïse de changer la formulation et le sens de ce commandement par : « Tu respecteras ton enfant comme toi-même » ? Il semblerait que cette loyauté familiale soit très ancienne et qu’elle remonte en tout cas à l’époque de Moïse qui semble en avoir été atteint lui aussi. D’ailleurs pour revenir à ce 4ème commandement biblique, précisons que les enfants nous aiment naturellement et que si un parent est honorable et respectable, son enfant le respectera d’office et ce commandement devient donc inutile.
L’influence religieuse ainsi que la morale qui en découle ne sont pas les seules causes de la loyauté familiale. Nous la retrouvons tout autour du globe, dans d’autres cultures également. Il semblerait qu’elle ait encore d’autres origines. En effet, la famille se comporte comme un troupeau qui a ses règles et ses lois. Le but très inconscient, mais néanmoins fondamental, de chaque clan est de survivre. Lorsqu’on touche à la famille, on mobilise les instincts grégaires de chacune des personnes. Dans tous les cas, c’est l'instinct de survie du groupe qui prime, l’objectif premier étant de développer la "tribu". Ainsi, chaque individu soumet naturellement son propre bien-être à celui de tout le groupe, même si c’est à son propre détriment. Les lois du groupe sont le résultat du vécu de tous les ancêtres. Elles représentent des solutions gagnantes qui ont permis à ce groupe familial de durer.
Psychologiquement, ce qui se joue dans la loyauté est la même chose que dans le déni dont elle est une conséquence. Elle nous empêche de voir la réalité pure et dure. Elle permet de se protéger de la grande désillusion (tout le monde n’est pas beau et n’est pas gentil), mais aussi d’épargner ceux qui dysfonctionnent et auxquels on est attaché.
Un des ingrédients qui permet de nourrir cette loyauté défavorable est le secret, volontaire ou non. Cela commence souvent par de simples non-dits, faire comme si l’on ne savait pas, comme si rien ne s’était passé, comme si...comme si... Des sujets de honte familiale, tels un gros mensonge, une infidélité, un enfant illégitime, une grave escroquerie, des violences éducatives ou conjugales, des abus sexuels, des incestes, un meurtre, etc. A force de non-dits, plus personne n’ose aborder le sujet évité. Très rapidement, il se mutera en tabou. A l’avenir, on parlera de tout, sauf de ça. Pour finir, ces non-dits « tabouifiés » deviendront un secret de famille, secret qu’il faudra protéger envers et contre tout. La plupart du temps, rien n’est jamais formulé clairement, mais tout le monde le sait. Et gare ! à celui qui transgresserait la loi du silence. Grâce à la loyauté familiale, il ne la transgressera pas, car cette loi séculaire est inscrite dans chacune de nos cellules depuis que nous existons.
Bien sûr, il existe aussi des circonstances où l’on confie un secret à une personne avec l’obligation morale de ne jamais le révéler. Ce sont des situations extrêmement lourdes, surtout si le secret est confié à un enfant. Parfois, l’on ne s’en remettra pas en raison d’un sentiment de culpabilité. Le dilemme est d’en parler tout de même et ainsi de trahir la confiance de celui qui nous a pris pour confident, soit de ne rien dire et de trahir celui ou ceux que cela concerne.
Pour en revenir à la loyauté familiale, le bénéfice premier va à l’enfant lui-même. Celle-ci lui permet de rester dans le clan, ce qui lui procure un faux sentiment de sécurité. C’est néanmoins mieux que rien car, à ce stade de développement et pour forger sa personnalité, l’enfant a besoin d’appartenir à un groupe. Or, si son déni face aux mauvais traitements fondait subitement et s’il sortait de la loyauté familiale en dénonçant les auteurs, il se verrait du coup privé de ce qui représente pour lui sa base de sécurité affective.
Le deuxième bénéfice va aux auteurs de la violence. Non seulement ne sont-ils pas punis pour leurs méfaits volontaires ou non, mais encore, cela leur permet-il de continuer dans leurs dysfonctionnements en évitant la douloureuse prise de conscience. Et c’est ainsi que de générations en générations, on se passe la « patate chaude ».
Il semblerait que la découverte de la loyauté familiale revienne à Iván Böszörményi-Nagy. Depuis, ce concept a abondamment été repris et développé par de très nombreux chercheurs et thérapeutes. Parmi eux se trouve Alice Miller à qui je voudrais rendre hommage. Grâce à elle et son important travail de recherches et d’informations, elle a permis à ce concept de sortir du monde des
spécialistes pour se répandre dans le domaine public, là où justement se jouent tous ces drames familiaux quotidiennement.
Pour qu’une loyauté puisse s’établir, il faut qu’il y ait un lien entre les divers protagonistes. Et c’est la propriété de ce lien qui déterminera la qualité de la loyauté. Bien évidemment, si le lien est pervers, la loyauté ne pourra qu’être aliénante elle aussi. Dans ces cas-là, elle est tellement forte qu’elle transcende même les inimitiés intrafamiliales et divers aspects transgénérationnels.
L’établissement du lien se produit tout naturellement entre un parent et un petit enfant sous la forme d’un attachement inconditionnel et indispensable de part et d’autre. C’est Bowlby, puis Ainsworth qui ont consacré leur vie professionnelle à étudier la qualité de ces liens. Lorsque les conditions sont optimales, l’enfant développe un type d’attachement sécure qui représente pour lui sa base de sécurité affective. Sur cette base affective stable et solide, l’enfant pourra progressivement se développer en s’émancipant à son rythme pour apprendre à voler de ses propres ailes en toute confiance.
Par contre, lorsque l’enfant subit des violences, d’autant plus lorsqu’elles proviennent de ses parents, il développera un type d’attachement insécure qui déterminera dorénavant ses futurs comportements de soumission ou d’agressivité. Même si le parent l’aime de tout son cœur. Car durant le moment où il le violente, il ne l’aime pas. L’enfant se sent alors non seulement agressé, mais également abandonné. Dès que l’orage est passé, l’enfant viendra se rassurer de l’amour de son parent en se collant à lui pour essayer de retrouver cet amour fusionnel. Le lien d’attachement, bien qu’étant insécure, est extrêmement fort. Cela mène à cette situation paradoxale où plus un enfant est maltraité par ses parents, plus il leur est attaché. On peut imaginer que même si le déni n’existait pas, l’enfant pardonnerait tout à son parent.
Plus tard, évidemment, il ne sera pas en mesure d’établir des attachements normaux avec d’autres. Il se retrouvera toute sa vie à chercher à réparer cette blessure première sans y parvenir. Dans la mesure où les violences induisent un attachement insécure chez l’enfant, tout le reste de sa vie et celle de son entourage en est donc hypothéqué.
Même les chercheurs sont frappés de cécité
C’est d’abord Alice Miller qui a jeté un pavé dans la mare en 1980 en publiant le livre « C’est pour ton bien ». Son travail très approfondi et documenté a été, pour bon nombre d’entre nous, l’ouvrage qui a fait tomber nos œillères.
Suivant sa trace, Olivier Maurel est très actif, lui aussi, pour faire avancer la cause de la bientraitance des enfants. Il vient de publier un très important travail de recherche sur le sujet du déni. Ce livre s’intitule : « La violence éducative : un trou noir dans les sciences humaines ». Il y rapporte avoir étudié dans le détail 21 ouvrages publiés entre 1998-2009 par des chercheurs de haut niveau qui s’interrogent sur la violence et ses racines. Ces 21 livres sont pour certains des ouvrages collectifs et ensemble, ils réunissent 99 auteurs.
Les résultats sont sans appel : le déni de la violence éducative (VEO) frappe autant les spécialistes de la recherche concernant la violence que nous autres. En effet
- 81/99 ne citent pas la VEO
- 10/99 l’évoquent, mais ensuite l’esquivent
- 1/99 approuve la VEO
- 1/99 nie la VEO comme cause de la violence des adolescents
- 3/99 entrevoient la VEO sans en mesurer l’importance
- Seuls 3/99 voient la VEO et en disent clairement les effets
Laissons à Olivier Maurel le soin de conclure cet important travail :
« La violence éducative ordinaire a en effet ce pouvoir étonnant de se rendre invisible, de se faire oublier par ceux-là même qui l’ont subie, y compris lorsqu’ils décident de consacrer des années de travail à la violence. Cette occultation des chercheurs entretient celle de l’opinion publique alors que leur rôle serait de l’informer. »
Comme nous le voyons dans les résultats ci-dessus, le déni de la VEO revêt différentes intensités allant de la négation la plus absolue à des avis permettant tout de même d’entrevoir une cause éventuelle, mais en y mettant de la banalisation ou de la minimisation. N’avons-nous pas tous entendu ou même prononcé qu’« une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne ! » ou que « mes parents étaient sévères, mais justes ! » ou encore « vous savez, j’avais un fichu caractère ! ».
La toxicité du sentiment de culpabilité
Se rajoutant aux 3 causes du déni de la violence éducative énoncées ci-dessus, à savoir
Ces phrases permettent d’identifier une quatrième composante du déni qui est celle du sentiment de culpabilité de l’enfant face aux parents tout-puissants. Même si l’enfant a parfois le sentiment d’être injustement puni, il croit tout de même que le parent a raison et que lui a tort. Ce sentiment de culpabilité est issu de la confusion créée par l’éducation inadéquate dans laquelle on culpabilise l’enfant pour ses réactions à cette violence subie. Si quelques enfants violentés au nom de l’éducation persisteront dans un comportement réactionnel de plus en plus agressif, la majorité des victimes de l’éducation bienpensante vont rapidement se résigner. A l’instar d’un lavage de cerveau, elles intégreront la notion que les punitions qu’ils reçoivent sont bien méritées car « c’est de leur faute ». Malheureusement force est de constater que le sentiment de culpabilité perdurera même à l’âge adulte et que les parents sont rarement mis en cause pour leur éducation malheureuse.
La gravité du déni de la VEO
Le déni de la VEO est donc un sac de nœuds à l’échelle mondiale.
Dans la mesure où il est sans cesse transmis en héritage aux générations futures, il y a peu de place pour une prise de conscience collective suffisante qui permette de mettre un terme à cette problématique. Ainsi, nous manquons d’une vue d’ensemble concernant ses nombreuses implications dans les multiples formes de violence, que ce soit au niveau personnel, familial, mais aussi social, financier, politique, religieux.
La violence éducative et son déni consécutif rendent les gens malades physiquement et psychiquement. Cela représente un problème de santé publique majeur qui coûte extrêmement cher autant en ce qui concerne les coûts financiers qu’en termes de misères humaines.
Sur le plan personnel, l’exposition à la VEO et l’impossibilité de l’identifier en tant que telle, influe sur le comportement futur de chacun, induisant les uns à devenir des victimes et les autres des abuseurs. La VEO est certainement le terreau de toutes les violences et le déni massif qui nous frappe tous lui donne tout son pouvoir.
Et si on changeait tout ça ?
Loin d’être une utopiste illuminée, je suis néanmoins convaincue que les choses peuvent et doivent changer. Cela demandera cependant de très importants efforts autant au niveau personnel que de celui de la société toute entière. Mais il faut bien que ce processus d’humanisation commence quelque part pour qu’il puisse ensuite se propager telle une « épidémie » guérissante.
J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer : le changement a déjà commencé par des prises de conscience de plus en plus nombreuses d’hommes et de femmes qui ont compris l’importance phénoménale de ce gigantesque dinosaure nommé déni de violence. Ces personnes mettent leur vie et leur temps à disposition pour travailler pour cette noble cause qu’est la bientraitance des enfants. Nous n’avons plus qu’à nous joindre à ce mouvement et y apporter aussi notre contribution.
En ce qui concerne la VEO, c’est vrai que nous avons peu de pouvoir sur ce qui appartient à notre passé. C’est plutôt du ressort des thérapeutes. Mais la thérapie individuelle n’est pas à écarter. Elle peut même être d’un grand secours pour chacun de nous et son entourage. Elle nous permet surtout d’être en mesure d’arrêter la transmission de la violence éducative aux générations futures. Comme le disait Gandhi : « Soyons nous-mêmes le changement que nous voulons voir dans le monde ». Mais pour cela, nous avons besoin d’être aidés. Cependant, la démarche vers une thérapie personnelle nécessite tout d’abord la prise de conscience de la violence éducative que nous avons subie nous- mêmes et pour cela, il est nécessaire que le déni fonde, si possible comme neige au soleil.
Alors, comment faire fondre ce déni ?
Pour sortir de cet obscurantisme, il faut avant tout que chacun de nous transmette ces informations capitales autour de lui lorsqu’il en prend connaissance. Il est question d’identifier l’hydre partout où elle se cache. Certains en feront leur travail en écrivant des livres ou en donnant des conférences. Mais bien évidemment, cela ne suffit pas. C’est là que notre responsabilité personnelle intervient. Passer l’info à notre entourage, à nos enfants, à nos amis. Chacun dans sa microsphère a un pouvoir d’action et peut amener sa pierre à l’édifice. La prise de conscience fonctionne comme le jeu de domino où chaque pièce agit sur la suivante. De nos jours, nous sommes grandement aidés par internet pour transmettre rapidement des messages à un grand nombre.
Il faut particulièrement que les enseignants soient sensibilisés pour que la lutte contre la VEO devienne part intégrante des enseignements que l’école dispense. L’école est le seul lieu où il est possible de toucher tout le monde. Il faut absolument que la prévention utilise ce moyen simple comme cela se fait déjà dans d’autres domaines, par exemple en ce qui concerne la circulation routière dans certains pays, la prévention du sida, l’instruction civique ou religieuse dans d’autres. Dans le canton du Tessin, en Suisse, la prévention de la violence a été inscrite dans le programme scolaire.
Si le déni de la violence éducative ne nous empêchait pas d’ouvrir les yeux sur une réalité tellement évidente, on pourrait facilement organiser des programmes de prévention à l’échelle mondiale. On pourrait mettre en place des structures d’aide et d’accompagnement aux familles pour leur apprendre à faire autrement. Il ne faudrait que peu de générations pour se débarrasser de ce fléau car l’être humain n’est pas violent de nature malgré ce que certains philosophes, religieux et psychanalystes nous enseignent. Nous pourrions suivre l’exemple de la Suède qui a promulgué, il y a 30 ans, une loi interdisant toute forme de violence envers les enfants, autant à l’école que dans les familles. Cette mesure est une réussite. Moins de deux générations d’écart permettent déjà de constater le recul spectaculaire des taux de délinquance et d’échecs scolaires dans ce pays.
Si nous voulons que les générations futures changent, nous devons intervenir pendant leur jeune âge pour les sensibiliser à la non-violence. Car nous l’avons bien compris, si cette étape fondamentale est ratée à ce moment-là de leur développement, ils seront happés à leur tour dans ce même déni qui a frappé tous leurs ascendants.
Pour reprendre l’exemple de la Suède, les informations et les extraits de lois sont inscrits sur les packs de lait pour diffuser ces messages. L’idée d’utiliser les berlingots de lait est une invention géniale car elle s’adresse à tous les membres de la famille en même temps et elle tient compte également du besoin de répétitions pour que les choses s’enregistrent dans nos cerveaux.
Ces changements à l’échelle nationale, puis mondiale, sont bien évidemment des actes politiques. Mais ne l’oublions pas, les politiciens de demain sont les enfants d’aujourd’hui. C’est à nous de leurs donner les outils pour créer ce monde meilleur.
Dr Cornelia Gauthier
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