Mémoire et Hypnose – Part 1

Par Jean-Dominique Paoli ©




Introduction

Lorsqu’il pousse la porte d’un cabinet d’hypnothérapeute, le client/patient vient la plupart du temps parce qu’il est poursuivi par sa mémoire. Mémoire qui, en boucle, le ramène à des souvenirs douloureux ou  lui fait adopter des comportements  sous forme de routines  auxquelles il ne parvient pas à échapper. Le tableau des problèmes traités par l’hypnose est parlant : phobies,  dépendances diverses, stress post-traumatique, douleurs chroniques, comportements répétitifs et inadéquats, etc…

Tous ces problèmes sont inscrits dans la mémoire des personnes et perturbent leur vie actuelle. Or, d’une part la mémoire est gérée en grande partie par l’inconscient, d’autre part l’hypnose permet un accès privilégié et une relation avec cet inconscient. Hypnose et mémoire, c’est la réunion d’une fonction, la mémoire, avec une technique, l’hypnose,  qui peuvent alors interagir, se compléter, s’enrichir l’une l’autre.

Lorsqu’un thérapeute utilise une transe hypnotique dans le but de faire retrouver à son client des souvenirs enfouis, causes de troubles actuels, il met l’hypnose au service de la mémoire. Lorsque ce même praticien utilise des images mentales pour modifier la perception des éléments négatifs que son client a d’un événement traumatisant, il profite des caractéristiques du fonctionnement de la mémoire.

Adapter la thérapie aux caractéristiques de la mémoire cela peut permettre de mieux gérer les problématiques récurrentes qui se posent aux personnes. L’état modifié de conscience que permet l’hypnose est un levier puissant de mémorisation, particulièrement dans le domaine des apprentissages.

En outre il est intéressant d’établir aujourd’hui un état des relations entre l’hypnose et la mémoire dans la mesure où elles ont connu une évolution parallèle et riche en progrès au cours des dernières décennies.

L’hypnose a bénéficié de l’héritage d’une grande richesse qu’a laissé, à la fin du XXè siècle, l’hypnothérapeute  américain Milton Erickson, héritage que ses anciens collaborateurs et ses disciples ont mis et mettent encore en valeur, tout en l’enrichissant, le modélisant. L’hypnose est ainsi sortie de la confidentialité et s’édifie sur des bases solides et pertinentes. La mémoire  quant à elle a profité des avancées des sciences cognitives, que ce soit l’ imagerie cérébrale, la psychologie cognitive ou la biologie. Depuis une vingtaine d’années, le fonctionnement du cerveau est de mieux en mieux expliqué d’où une meilleure connaissance des mécanismes mnésiques. De nombreuses équipes de chercheurs sont à l’œuvre sur la planète, notamment aux Etats-Unis où le chef de file est Erik Kandel, prix Nobel 2000 de médecine pour ses travaux sur la mémoire. Pendant de nombreuses années Kandel a lancé ses équipes de recherche sur les divers aspects du fonctionnement de la mémoire. Avec Larry Squire, autre chercheur en pointe dans ce domaine, ils ont fait la synthèse des nouvelles connaissances dans leur ouvrage « La mémoire, de l’esprit aux molécules » où ils analysent les processus mnésiques à tous les stades allant de la psychologie cognitive à la biologie moléculaire.

Longtemps domaine réservé des philosophes, la mémoire est devenue au siècle dernier un sujet d’étude des psychologues, avant de devenir récemment celui des neurosciences en général. Ces neurosciences  forment aujourd’hui un cadre unique qui regroupe les approches de la psychologie cognitive, de l’imagerie cérébrale, de la biologie cellulaire et moléculaire. Il est désormais possible d’étudier l’aspect biologique des processus mentaux, en d’autres termes de savoir pour telle émotion par exemple, quel gène est activé, voire modifié, quelle protéine il exprime, etc…

Ainsi, pour la mémoire, c’est en « termes de mécanismes cellulaires et moléculaires que des concepts tels l’association, l’apprentissage, le stockage, le rappel et l’oubli, qui étaient autrefois seulement psychologiques, peuvent être appréhendés » (Kandel et Squire).

Il en est de même pour l’hypnose où, sous l’impulsion de l’un des derniers collaborateurs de Milton Erickson, Ernest Rossi, l’étude des phénomènes hypnotiques s’étend au champ moléculaire de notre cerveau.

Nous nous proposons donc  de présenter l’interaction de l’hypnose et de la mémoire. Nous le ferons sous forme de plusieurs volets qui seront autant d’approches de la relation entre l’hypnose et la mémoire.

Nous commencerons par faire l’état des lieux de ces deux notions : comment fonctionne notre mémoire et ce que peut apporter l’hypnose à ce fonctionnement.

Puis nous nous intéresserons à la conjugaison de l’hypnose et de la mémoire dans les stratégies  thérapeutiques pour traiter les événements du passé. Quel est le rôle de la mémoire en thérapie, quelles techniques utilisent les caractéristiques à la fois de l’hypnose et de la mémoire. 

 Ensuite  nous tenterons de répondre à la question « peut-on améliorer notre mémoire grâce à l’hypnose ? ». L’idée peut être celle d’une thérapie par l’hypnose pour améliorer une mémoire défaillante, mais d’une manière plus générale nous nous intéresserons à l’apport des techniques d’hypnose aux apprentissages : peut-on améliorer, renforcer, faciliter les apprentissages en utilisant les nouvelles connaissances du fonctionnement de la mémoire associées aux techniques de l’hypnose.

Enfin nous étudierons les limites (notamment la pertinence de faire appel à la mémoire pour remuer le passé ) et les biais de l’utilisation de l’hypnose pour renforcer la mémoire du passé. Avant de pointer les dérives liées à l’idée qu’une mémoire boostée par l’hypnose constituerait un sérum de vérité.


 

Volet 1 


Fonctionnement de la mémoire, intérêt d’une action conjointe avec l’hypnose


L’état hypnotique s’est souvent traduit dans les cabinets d’hypnose par des manifestations spectaculaires liées à la mémoire des personnes : régressions, souvenirs enfouis soudain réapparus, acuité mnésique, etc… On a donc pu croire que l’hypnose permettait de doper la mémoire, de mieux cerner la vérité des faits passés. Cette croyance a été à l’origine, dans les pays anglo-saxons, du syndrome des « faux souvenirs » qui a brisé de nombreuses familles et envoyé en prison des innocents. Nous traiterons de ces dérives dans un volet ultérieur , mais l’on peut affirmer que ces dérives ont été dues à la confiance aveugle des professionnels, de l’hypnose et de la justice, dans les techniques d’hypnose  et surtout à l’ignorance de la manière dont fonctionne la mémoire.

Avant de voir en quoi l’hypnose peut apporter une stimulation à la mémoire, et dans l’autre sens, en quoi la connaissance des mécanismes de la mémoire peut permettre à l’hypnose d’être plus efficace, il est donc nécessaire de bien connaître quelle mémoire est concernée, comment elle fonctionne et quelles  informations nous récupérons à la suite de la mémorisation.

 

Quel type de mémoire est concerné ?

Différentes classifications, différents types de mémoire  existent. Notre propos n’est pas d’en dresser la liste, mais de présenter celles qui sont concernées par la relation mémoire/hypnose.

Une première distinction est essentielle chez Squire et Kandel : mémoire à court terme et mémoire à long terme. Chacun comprend intuitivement que dès lors qu’il est question de « mémorisation », il s’agit d’une mémorisation à long terme, pour plusieurs heures  à plusieurs années. Les problèmes récurrents vécus par les clients en hypnothérapie se retrouvent dans cette catégorie. De même les processus d’apprentissage. 

On pourrait penser qu’il ne s’agit là que d’une classification formelle, théorique. Or Kandel, Squire et leurs équipes ont fait une découverte importante : le passage d’une mémorisation à court terme à une mémorisation à long terme se fait par le déclenchement d’un commutateur biologique supposant des modifications structurelles au niveau des gênes et de l’émission de protéines spécifiques. Nous reviendrons sur ce commutateur dans le volet de cette étude consacré aux apprentissages.

Autre distinction essentielle pour Squire et Kandel : mémoire déclarative et mémoire non déclarative. La mémoire déclarative est celle qui peut s’exprimer par des mots : raconter un épisode de sa vie, exposer des connaissances. A l’intérieur de la mémoire déclarative, on trouve la mémoire épisodique, celle des événements de notre vie, ainsi que la mémoire sémantique, celle de tout ce que nous avons appris et apprenons encore au cours de notre existence.

La mémoire épisodique est intéressée par l’utilisation de l’hypnose, tant les événements passés sont la source des problèmes pour les clients en thérapie. La mémoire sémantique sera plutôt concernée par l’hypnose dans le cadre des apprentissages.

 La mémoire non déclarative, ou implicite,  est celle des gestes automatiques, des procédures (on la nomme aussi « mémoire procédurale »), des habiletés que notre corps a apprises. Elle ne s’explique pas en mots mais par la manière d’effectuer quelque chose : attacher ses lacets, faire du vélo, etc… Elle relève de notre inconscient.

Par exemple, quand on a appris à marcher, les gestes se sont stockés sous forme de mémoire non déclarative. Il n’est pas nécessaire de se rappeler qu’il faut faire un pas avec le pied droit puis avec le gauche. D’ailleurs si l’on veut consciemment prêter attention au processus de la marche tout en l’analysant en même temps, c’est une démarche bizarre qui en résulte.

Un accident, une maladie peuvent entraîner la perte de mémoire de ces gestes acquis. Couplée avec une rééducation psychomotrice, l’hypnose peut permettre de retrouver certains automatismes perdus.


 

Comment fonctionne la mémoire ?


Pour expliquer ce fonctionnement, nous prendrons l’hypothèse la plus courante en thérapie, celle de la mémoire des événements ou mémoire épisodique.

A priori, nos sens captent tout notre environnement. Mais est-ce que tout ce qui transite par nos organes sensitifs est enregistré et gardé à long terme ? La réponse passe par la distinction entre mémoire à court ou long terme.

 

Mémoire à long terme, mémoire à court terme :

Tout ce qui nous entoure, bruits, environnement visuel, odeurs, saveurs, etc… est capté par nos sens et transmis au cerveau, plus précisément dans la mémoire à court terme. Ce court terme va de quelques secondes à quelques minutes.  C’est la mémoire à CT qui nous permet de lire un numéro sur un annuaire et de le taper sur le clavier du téléphone. Aussitôt tapé, le numéro est oublié.  C’est elle encore qui nous permet de mémoriser le début d’une phrase que nous lisons ou entendons de manière à en comprendre la fin.

La mémoire à CT a une autre fonction, essentielle, celle de faire le tri dans les informations reçues, d’éliminer celles qui a priori ne présentent pas d’intérêt. Vous parcourez une rue, vous croisez ainsi de nombreuses personnes, entendez le brouhaha d’une ville, captez des parfums, des odeurs. Arrivés au bout de la rue, vous seriez bien en peine, sauf si un événement précis est survenu, de vous souvenir de toutes ces informations : vous les avez captées mais pas mémorisées. Cela s’est fait en dehors du conscient.

Ainsi tout ce que nous apportent nos sens passe par le filtre de la mémoire à court terme. Notre inconscient y fait un travail permanent de tri et d’élimination d’informations qu’il juge sans importance ou déjà connues. Supposons que nous nous souvenions de tout ce que nous voyons, entendons, ressentons, goûtons, sentons à chaque minute de notre vie. Pour trouver un souvenir utile nous aurions continuellement à chercher dans un énorme fatras d’informations sans intérêt.  Même avec 100 milliards de neurones,  nous serions submergés, noyés sous les informations si nous voulions tout retenir.

Et ce, sans parler d’une capacité largement insuffisante de stockage dans le cerveau.

Certes, l’oubli peut être aussi dû à un refoulement lié à des émotions pénibles, mais il est surtout nécessaire au bon fonctionnement de notre mémoire : continuellement, nous sélectionnons de manière inconsciente mais aussi, plus rarement, consciente,  ce que nous garderons d’une part  et ce qui est destiné à l’oubli d’autre part. Nous n’acheminons vers notre mémoire à long terme qu’une minorité des informations qui nous parviennent de notre monde,  la grande majorité  étant oubliée aussitôt qu’identifiée.

Si l’on sait depuis longtemps qu’il est une dilution avec le temps de ce qui est mémorisé, l’oubli est donc aussi et surtout une non-mémorisation initiale dans les quelques secondes qui suivent la captation de l’information. L’oubli est une des fonctions essentielles de la mémoire, il lui permet de fonctionner de manière optimale : pouvoir ignorer est une fonction importante du cerveau.

Puisque nous serons amenés à parler de thérapie à de nombreuses reprises, cette notion de l’oubli nécessaire nous amène à dire quelques mots de la thérapie dominante, la psychanalyse, en ce qui concerne la mémorisation de ce que nous vivons au fil des minutes, heures, années… Aux yeux des tenants de la psychanalyse, notre mémoire enregistre tout ce que notre cerveau capte de notre environnement. Si nous ne nous souvenons pas de tous ces enregistrements, cela serait dû à un phénomène de refoulement : nous ne voulons pas nous souvenir de faits qui nous traumatisent mais qui restent présents quelque part dans notre mémoire. Comme ces faits refoulés entraînent des conséquences psychologiques récurrentes, la démarche de la psychanalyse a pour objectif de remonter à la source de ces troubles actuels, de les revivre et de les expurger par une décharge émotionnelle, la catharsis.

Au regard de ce que nous savons aujourd’hui du fonctionnement de la mémoire, ce principe d’une mémorisation de tout ce que nous vivons qui constitue le fondement de la psychanalyse,  n’est donc plus d’actualité. C’est la raison pour laquelle les thérapies modernes se sont de plus en plus affranchies du passé, du recours à la mémoire des traumatismes.

Revenons au tri des informations dans la mémoire à CT : comment se fait le passage dans la mémoire à LT, celle qui va conserver les informations ?

 

La mémorisation à long terme

Les spécialistes de la mémoire parlent d’encodage pour évoquer le transfert des informations dans la mémoire à LT, ce qu’en langage courant nous appelons mémorisation. Puis de stockage pour expliquer comment les informations sont conservées. Enfin de récupération pour décrire quelles informations notre cerveau est capable de retrouver dans les innombrables casiers de notre mémoire.

 

L’encodage

Kandel et Squire ont mis en évidence l’existence d’un commutateur qui déclenche l’encodage à LT. Ce commutateur est conscient quand nous décidons de mémoriser telle ou telle information. C’est la situation de tous les apprentissages. Les informations sont alors encodées par une glande du cerveau l’hippocampe, qui joue un rôle de bibliothécaire, « étiquetant » et rangeant les informations destinées à être conservées.

Le commutateur vers le LT est inconscient quand  la mémoire épisodique, celle des événements de notre vie, est concernée : cet événement, nous le vivons, nous n’avons pas ensuite à « l’apprendre » comme nous le faisons pour un cours d’histoire par exemple.

Proust n’avait pas formellement mémorisé les moments où il rendait visite à sa tante dans son village lorsqu’il était enfant, cela s’était fait à son insu. C’est en dégustant une madeleine, comme celles que lui servait sa tante, que les  souvenirs  affluent, souvenirs qui ne lui venaient plus consciemment à l’esprit.

 

Le rôle de l’amygdale

Comment fonctionne cet encodage inconscient ? Nous l’avons vu, un tri est fait au moment de la perception des informations, nous ne conservons en mémoire que ce qui présente un intérêt, ce qui est important pour nous. Le processus est inconscient,  c’est une glande du cerveau, de la grosseur d’une amande, l’amygdale, qui indique à l’hippocampe que tel ou tel événement doit être mémorisé. Elle le fait lorsqu’une émotion particulière est générée par l’événement.

A l’origine de l’espèce humaine, le rôle de l’amygdale était de gérer la survie dans un environnement hostile à l’être humain. Non seulement elle mémorisait les dangers, mais aussi elle déclenchait des procédures d’urgence, notamment l’augmentation du rythme cardiaque et l’envoi de sang dans les jambes pour permettre la fuite, l’émotion qui déclenche cette protection étant la peur.

Avec l’évolution de l’espèce, le cerveau humain s’est développé. Autour du cerveau d’origine, s’est enroulée une écorce nouvelle, le néocortex, adaptée aux besoins nouveaux de l’espèce, le langage et la pensée. De ce fait, l’amygdale s’est trouvée en charge de nouvelles réactions, face à de nouvelles peurs autres que celles du danger imminent, face à de nouvelles émotions, notamment celles liées aux comportements  sociaux .

Ce sont autant de causes de réactions diverses de protection. Or l’amygdale réagit dans l’urgence, une réponse consciente n’a pas le temps de se mettre en place, d’où souvent une réaction mal adaptée, mal mesurée. C’est ainsi qu’au lieu de mettre en œuvre une fuite de protection, elle peut déclencher une fuite panique plus nocive qu’efficace. Le problème est que ces réactions approximatives sont enregistrées en même temps que l’événement, car l’amygdale mémorise tous les événements à caractère émotionnel de manière à ce que l’individu se constitue une expérience de gestion des moments vitaux.

Et ainsi notre mémoire épisodique se trouve sollicitée par l’amygdale pour enregistrer bon nombre d’événements à caractère émotionnel, l’événement étant mémorisé sans intervention consciente et de surcroît accompagné de la réaction générée par l’amygdale.

Il suffit que les conditions de l’événement soient à nouveau réunies pour que la mémoire déclenche la réaction passée. Cette protection inconsciente n’est pas toujours  pertinente, adaptée, d’où, pour des situations de la vie courante, anxiété, jalousie, colère, etc…, des réactions qui nous échappent et prospèrent en boucle.

L’ encodage généré par une émotion est puissant, il s’inscrit dans la mémoire sans avoir besoin d’être appris, de faire l’objet d’un apprentissage conscient. L’exemple qui est souvent utilisé est celui des attentats du 11 septembre à New-York. Chacun se souvient de ce qu’il faisait ce jour-là au moment où il a pris connaissance des attentats, du fait de la grande émotion suscitée. En France, ce sont désormais les événements de janvier 2015 qui seront une référence de souvenir à forte charge émotionnelle  au sein de notre mémoire.

Mais souvent les émotions n’ont pas besoin d’être aussi fortes pour être mémorisées. Il suffit que l’émotion représente quelque chose d’important pour la personne. « Ce qui touche le cœur se grave dans la mémoire » a écrit Voltaire…

Les recherches récentes sur la mémoire ont permis d’élargir cette notion de mémoire des émotions automatiquement enregistrée. L’amygdale, donc la mémoire à long terme, est sollicitée certes lorsqu’un événement s’accompagne d’émotions classiques, la peur, la joie, la tristesse, l’envie, etc…, mais aussi, et peut-être plus encore, l’attente, l’insolite, l’humour, la nouveauté, l’étonnement ou la surprise. La perception n’est donc pas forcément désagréable.

Nous verrons dans un volet ultérieur consacré aux apprentissages, qu’il peut être très intéressant dans une situation d’apprentissage de déclencher par une démarche hypnotique  l’un ou l’autre de ces types « d’émotions » pour éveiller l’amygdale, la pousser à intervenir  et ainsi renforcer la mémorisation.

Une autre particularité de l’encodage par l’amygdale est que non seulement l’événement et son environnement sont enregistrés mais aussi notre état d’esprit, notre réaction à ce moment précis. Nous ne mémorisons donc pas l’événement objectif, notre cerveau n’est pas une photocopieuse ou une caméra vidéo. Nous ne conservons que certains éléments de l’événement vécu et de plus nous les simplifions ou amplifions, en fonction de notre évaluation de ce qui se passe. Ce que l’amygdale encode dépend donc fortement de l’individu que nous sommes, avec sa culture, ses références sociales, ses émotions et ses motivations.

C’est pourquoi le souvenir d’un même événement vécu par deux personnes comportera des différences. Nous avons tous vécu le récit par un couple d’un épisode précis de sa vie : il ne faut qu’une poignée de secondes avant que les deux récits ne se mettent à diverger.

A ce stade des explications sur le fonctionnement de la mémoire, celui de l’encodage, nous voyons déjà se dessiner les contours  limités d’un recours à la mémoire pour reconstituer un fait passé :

-        Bon nombre d’informations  ne franchissent pas le filtre de la mémoire à court terme, elles ne sont pas mémorisées.

-        Celles qui sont mémorisées dans la mémoire à long terme le sont soit par une décision consciente d’apprentissage, soit par un processus inconscient géré par l’amygdale, glande puissante qui est éveillée par une émotion particulière.

-        Ce qui est mémorisé d’un événement dépend de la personne qui le vit.

 

Récupération de ce qui a été mémorisé

D’abord quelques mots du stockage des informations, élément déterminant du processus de récupération. On a longtemps cru que les souvenirs étaient stockés d’un seul tenant : un événement, un stockage en un seul endroit.  On sait maintenant que ce n’est pas le cas : non seulement il n’y a pas de centre spécialisé de la mémoire mais en plus un même événement est ventilé en plusieurs éléments et dispersé dans diverses régions cérébrales. Ces régions cérébrales sont spécialisées dans des aspects spécifiques de la perception.

Cela a pour conséquence que la récupération mnésique est la somme des éléments éclatés un peu partout dans le cerveau et qui forment l’enregistrement de l’événement : cette somme est appelée « engramme ».

 

Se souvenir, c’est reconstruire !

L’on peut  se dire alors que la récupération du souvenir consiste simplement en une réactivation et un regroupement des divers fragments de l’engramme, reconstituant tel quel ce qui a été enregistré. Ce n’est pas si simple. En effet on ne récupère pas les fragments disséminés tels qu’ils ont été enregistrés.

Tout d’abord, ces fragments ne reviennent pas avec une force égale. Certains sont récupérés avec plus de force que d’autres : on peut par exemple se souvenir visuellement de l’événement mais avoir quelque peu oublié le son ou un autre composant. Du coup, le souvenir n’est plus qu’une approximation de ce qui s’est réellement passé. En fait on reconstruit le passé : se souvenir, c’est reconstruire.

Ensuite, nous l’avons vu, la mémorisation s’est faite avec un certain état d’esprit. Or, c’est un état d’esprit différent qui risque d’être présent au moment de la récupération, d’où une évaluation différente de chaque partie de l’engramme par la personne. Si la mémorisation est subjective, la remémoration l’est encore plus.

Et puis le temps passe. Avec le temps, notre souvenir peut devenir imprécis, l’oubli joue son rôle. Quand nous tentons de nous souvenir d’un événement, nous faisons des erreurs involontaires, par défaillance de la mémoire sur tel ou tel fragment de l’engramme, ou volontaires, afin de rendre notre récit plus cohérent ou plus intéressant.  A la longue ces modifications sorties de notre imagination finissent par prendre place dans la mémoire aux côtés des éléments réellement perçus, sans que nous puissions démêler le vrai de l’imaginaire. Nous ne sommes alors plus en mesure de faire la différence entre le souvenir d’un vécu réel et l’évocation ultérieure de ce vécu.

Ainsi, les souvenirs sont très souvent des reconstitutions déformées par le souci de rendre cohérents les faits ou de combler les trous, mais aussi modifiées par l’influence d’informations ultérieures, y compris, dans le cas d’une thérapie, par le contexte thérapeutique lui-même : le cadre de la consultation, les suggestions, etc…

Au regard de l’exactitude, de la véracité  des faits, ces modifications constituent un inconvénient. Mais l’éclatement en fragments est intéressant, dans la mesure où l’on peut reconstruire l’événement en jouant volontairement sur l’équilibre entre les diverses parties de l’engramme, par exemple en diminuant les ressentis négatifs et amplifiant les positifs. C’est la technique dite des « sous-modalités » que nous décrirons dans un autre volet de cette étude.

 

La mémoire est-elle fiable ?

Au vu des paragraphes qui précèdent, il est tentant de conclure que la mémoire n’est guère digne de confiance.

Car enfin, une mémoire qui sélectionne des fragments d’un événement en fonction d’une grille de lecture liée à l’individu, qui  lors de la récupération lit ces fragments avec une grille qui a évolué, une mémoire qui subit l’influence de l’environnement, qui bouche des trous dans le souvenir au moyen de l’imagination, bref une mémoire subjective qui reconstruit en permanence, ne peut être un modèle d’exactitude de ce qui s’est effectivement passé.

En fait, dans la réalité la mémoire est raisonnablement fiable. Certes, nous oublions les détails mais l’oubli joue ainsi son rôle qui nous permet de résumer, synthétiser et ainsi de ne retenir que les éléments principaux. Nous tirons des leçons générales débarrassées des détails, leçons qui peuvent s’additionner au fur et à mesure de nos expériences et constituer notre bibliothèque de connaissances et de comportements..

En revanche, il ne peut pas être question de faire confiance à la mémoire pour retrouver des détails précis de faits, par exemple dans le cas de procédures pénales mettant en cause des personnes, et encore moins d’y adjoindre l’hypnose comme un adjuvant de vérité. Nous étudierons cet aspect dans un volet ultérieur consacré aux dérives de l’utilisation de l’hypnose associée à la mémoire.

Pour l‘heure, intéressons-nous aux effets que peut apporter l’hypnose à  la mémoire et aux souvenirs.


L’hypnose au service de la mémoire ?

Dans les explications précédentes sur le fonctionnement de la mémoire, nous avons constaté que notre inconscient joue un grand rôle dans ce fonctionnement, notamment dans le tri initial des informations reçues de notre environnement et aussi dans le renforcement de la mémorisation en présence d’émotions. Or l’hypnose est le moyen privilégié d’accès à cet inconscient. C’est pourquoi il est intéressant de chercher ce que l’hypnose peut apporter à la mémoire.

Dans « Soigner par l’hypnose », E. Bonvin met en avant des similitudes entre l’hypnose et la mémoire, comme une nature commune, au point d’avoir parfois l’impression d’observer le même objet. Nous verrons dans le deuxième volet de notre étude que nous partageons cette idée ( la mémoire implicite et l’inconscient sont, à notre avis, une seule et même notion).

Lors de l’induction de la transe hypnotique, l’attention est focalisée, prolongée, sélective. Or, c’est ainsi que fonctionne la mémorisation : ce qui est mémorisé est ce que nous avons perçu avec une attention particulière car cela est significatif pour nous. L’induction hypnotique apporte donc à la mémoire un renforcement d’attention.

Par ailleurs, notre perception des événements est faite d’associations avec des souvenirs/images liés à notre histoire personnelle. La restitution de ces événements sera constituée de réassociations, de réorganisation. Or, l’état hypnotique est un état particulier où justement l’inconscient réassocie, réorganise des comportements, remet des souvenirs en perspective.

La confusion qui intervient au moment de l’induction amène un relâchement du conscient. L’inconscient a alors des possibilités d’associations, de perceptions, de représentations, de souvenirs  que l’état de conscience cohérent et logique ne pourrait atteindre.

Or, les associations d’images et de perceptions sont le moteur du processus mnésique qui se trouve ainsi renforcé par l’hypnose. Nous avons vu l’importance de l’amygdale qui mémorise sans  en avertir quiconque,  en réaction à un stimulus émotionnel. La personne a vécu un épisode de sa vie, a ressenti une émotion qui peut être très ténue, mais n’a pas conscience d’avoir mémorisé. Il se peut que l’occasion ne se présente jamais de se remémorer l’événement, pas de parfum, de lieu, de situation, de madeleine… qui déclenche le souvenir. Mais  dans un état hypnotique où les associations d’images sont stimulées, où l’imagination est active, ce souvenir peut remonter en surface de la conscience.

E Boivin évoque la place du corps en catalepsie dans la dynamique de la mémoire. Un certain nombre d’études sur la mémoire kinesthésique ont montré que l’adjonction de gestes au processus de mémorisation renforce celle-ci. On retrouve cette alliance du geste et de la mémoire dans certaines pratiques thérapeutiques  notamment par catalepsie et lévitation des bras. Or, le corps en catalepsie est libéré du conscient, il peut se laisser aller à ses propres mouvements et ainsi renforcer la mémoire.


 

Conclusion

Nous mémorisons nos expériences, faites de sensations subjectives, de pensées, d’émotions, de comportements, notre mémoire est vivante, elle présente diverses facettes au gré de nos états d’âme, elle est évolutive.

L’hypnose peut permettre à la mémoire d’être plus attentive, plus concentrée, mais elle ne lui permettra pas d’être ce qu’elle n’est pas, à savoir un enregistreur fidèle des événements de notre vie.